Commentaire composé sur En attendant Godot de Beckett, le dénouement

Commentaire composé sur En attendant Godot de Beckett, le dénouement

Texte

Beckett, En attendant, Godot

Acte II, p 132 « Silence. Vladimir fait un soudain bond en avant » à fin de la pièce

 

Le soleil se couche, la lune se lève. Vladimir reste immobile. Estragon se réveille, se déchausse, se lève, les chaussures à la main, les dépose devant la rampe, va vers Vladimir, le regarde.

ESTRAGON : Qu’est-ce que tu as ?

VLADIMIR : Je n’ai rien.

ESTRAGON : Moi je m’en vais.

VLADIMIR : Moi aussi.

Silence.

ESTRAGON : Il y avait longtemps que je dormais ?

VLADIMIR : Je ne sais pas.

Silence.

ESTRAGON : Où irons-nous ?

VLADIMIR : Pas loin.

ESTRAGON : Si si, allons-nous-en loin d’ici !

VLADIMIR : On ne peut pas.

ESTRAGON : Pourquoi ?

VLADIMIR : Il faut revenir demain.

ESTRAGON : Pour quoi faire ?

VLADIMIR : Attendre Godot.

ESTRAGON : C’est vrai. (Un temps.) Il n’est pas venu ?

VLADIMIR : Non.

ESTRAGON : Et maintenant il est trop tard.

VLADIMIR : Oui, c’est la nuit.

ESTRAGON : Et si on le laissait tomber ? (Un temps.) Si on le laissait tomber?

VLADIMIR : Il nous punirait. (Silence. Il regarde l’arbre.) Seul l’arbre vit.

ESTRAGON  (regardant l’arbre.) : Qu’est-ce que c’est ?

VLADIMIR : C’est l’arbre.

ESTRAGON : Non mais quel genre ?

VLADIMIR : Je ne sais pas. Un saule.

ESTRAGON : Viens voir. (Il entraîne Vladimir vers l’arbre. Ils s’immobilisent devant. Silence.) Et si on se pendait ?

VLADIMIR : Avec quoi ?

ESTRAGON : Tu n’as pas un bout de corde ?

VLADIMIR : Non.

ESTRAGON : Alors on ne peut pas.

VLADIMIR : Allons-nous-en.

ESTRAGON : Attends, il y a ma ceinture.

VLADIMIR : C’est trop court.

ESTRAGON : Tu tireras sur mes jambes.

VLADIMIR : Et qui tirera sur les miennes ?

ESTRAGON : C’est vrai.

VLADIMIR : Fais voir quand même. (Estragon dénoue la corde qui maintient son pantalon. Celui-ci, beaucoup trop large, lui tombe autour des chevilles. Ils regardent la corde.) A la rigueur ça pourrait aller. Mais est-elle solide ?

ESTRAGON : On va voir. Tiens.

Ils prennent chacun un bout de la corde, et tirent. La corde se casse. Ils manquent de tomber.

VLADIMIR : Elle ne vaut rien.

Silence.

ESTRAGON : Tu dis qu’il faut revenir demain ?

VLADIMIR : Oui.

ESTRAGON : Alors on apportera une bonne corde.

VLADIMIR : C’est ça.

Silence.

ESTRAGON : Didi.

VLADIMIR. : Oui.

ESTRAGON : Je ne peux plus continuer comme ça.

VLADIMIR : On dit ça.

ESTRAGON : Si on se quittait ? Ça irait peut-être mieux.

VLADIMIR : On se pendra demain. (Un temps.) A moins que Godot ne vienne.

ESTRAGON : Et s’il vient ?

VLADIMIR : Nous serons sauvés.

Vladimir enlève son chapeau - celui de Lucky - regarde dedans, y passe la main, le secoue, le remet.

ESTRAGON : Alors, on y va ?

VLADIMIR : Relève ton pantalon.

ESTRAGON : Comment ?

VLADIMIR : Relève ton pantalon.

ESTRAGON : Que j’enlève mon pantalon ?

VLADIMIR : RE-lève ton pantalon.

ESTRAGON : C’est vrai.

Il relève son pantalon. Silence.

VLADIMIR : Alors, on y va ?

ESTRAGON : Allons-y.

Ils ne bougent pas.

Rideau

 


Commentaire composé

Comment Beckett, dans ce dénouement, crée-t-il de l’absurde, mélangeant le comique et le tragique, dans le but de montrer que l’homme a perdu sa foi à cause des grands conflits du XXème siècle qui ont réduit l’humanité à néant ?

 

I) L’absurde, entre comique et tragique

 

Les personnages font face à une incompréhension qui est présente lorsqu’ils discutent au sujet de l’arbre, et quand Vladimir demande à Estragon de relever son pantalon, “VLADIMIR : Relève ton pantalon. ESTRAGON : Comment ? VLADIMIR : Relève ton pantalon. ESTRAGON : Que j’enlève mon pantalon ? VLADIMIR : RE-lève ton pantalon. ESTRAGON : C’est vrai. Il relève son pantalon. Silence.”, donnant une idée qu’Estragon renonce à sa dignité. En effet, les deux personnages ne semblent pas se comprendre, si bien que Vladimir doit se répéter pour que Estragon comprenne. Ce thème de l’incommunicabilité est récurrent dans le théâtre de l’absurde. De plus, la pendaison amène un passage comique, mais aussi tragique : comique car cette idée est amenée de nulle part, mais aussi tragique car, pour eux, la pendaison est devenue la seule issue, “ESTRAGON : Je ne peux plus continuer comme ça.”, “ESTRAGON : Si on se quittait ? Ça irait peut-être mieux.”, montrant que la solitude est peut-être la solution à leur malheur. Enfin, la fin du texte “VLADIMIR : Alors, on y va ? ESTRAGON : Allons-y. Ils ne bougent pas” crée une contradiction, rendant cette fin absurde, d’un côté comique mais surtout tragique car les personnages semblent être paralysés par une force qui les dépasse, les empêchant d’avancer. Ils ne sont donc pas capables d’être les maîtres de leurs propres destins.

 

II) Une scène métaphysique

 

Ce dénouement montre comment l’homme en arrive à perdre sa place dans l’univers et son statut d’être humain : “ESTRAGON : Si on se quittait ? Ça irait peut-être mieux.” montre que Estragon est prêt à renoncer à ce qui nous rend humain, c’est-à-dire à la communication avec d’autres. Les répliques sont courtes pour souligner ce renoncement à la communication ; les deux personnages peuvent à peine parler entre eux. Godot représente Dieu. La pièce tourne donc autour du fait que les deux personnages principaux attendent que Dieu vienne les secourir : “ESTRAGON : Et s’il vient ? VLADIMIR : Nous serons sauvés”. Malheureusement, lorsqu’il ne vient pas, Estragon suggère de l’oublier, reniant sa foi. L’évocation de la pendaison, “ESTRAGON : Viens voir. (Il entraîne Vladimir vers l’arbre. Ils s’immobilisent devant. Silence.) Et si on se pendait ?”, souligne cette idée, et dit qu’un monde sans Dieu n’est pas vivable, puisqu’on ne peut rien espérer de la vie. Cependant, la fin du texte “VLADIMIR : Alors, on y va ? ESTRAGON : Allons-y. Ils ne bougent pas” donne une lueur d’espoir à l’humanité, disant que malgré leur renoncement, ils continuent toujours à croire en Dieu au fond d’eux, ce qui est souligné par la didascalie.


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