Commentaire composé sur MUSSET, Fantasio acte I scène 2

Commentaire composé sur MUSSET, Fantasio acte I scène 2

Texte

MUSSET, Fantasio acte I scène 2

 

SPARK

Tu me fais l'effet d'être revenu de tout.

FANTASIO

Ah ! pour être revenu de tout, mon ami, il faut être allé dans bien des endroits.

SPARK

Eh bien donc ?

FANTASIO

Eh bien donc ! où veux-tu que j'aille ? Regarde cette vieille ville enfumée ; il n'y a pas de places, de rues, de ruelles où je n'aie rôdé trente fois ; il n'y a pas de pavés où je n'aie traîné ces talons usés, pas de maisons où je ne sache quelle est la fille ou la vieille femme dont la tête stupide se dessine éternellement à la fenêtre ; je ne saurais faire un pas sans marcher sur mes pas d'hier ; eh bien, mon cher ami, cette ville n'est rien auprès de ma cervelle. Tous les recoins m'en sont cent fois plus connus ; toutes les rues, tous les trous de mon imagination sont cent fois plus fatigués ; je m'y suis promené en cent fois plus de sens, dans cette cervelle délabrée, moi son seul habitant ! je m'y suis grisé dans tous les cabarets ; je m'y suis roulé comme un roi absolu dans un carrosse doré ; j'y ai trotté en bon bourgeois sur une mule pacifique, et je n'ose seulement pas maintenant y entrer comme un voleur, une lanterne sourde à la main.

SPARK

Je ne comprends rien à ce travail perpétuel sur toi-même ; moi, quand je fume, par exemple, ma pensée se fait fumée de tabac ; quand je bois, elle se fait vin d'Espagne ou bière de Flandre ; quand je baise la main de ma maîtresse, elle entre par le bout de ses doigts effilés pour se répandre dans tout son être sur des courants électriques ; il me faut le parfum d'une fleur pour me distraire, et de tout ce que renferme l'universelle nature, le plus chétif objet suffit pour me changer en abeille et me faire voltiger çà et là avec un plaisir toujours nouveau.

FANTASIO

Tranchons le mot, tu es capable de pêcher à la ligne.

SPARK

Si cela m'amuse, je suis capable de tout.

FANTASIO

Même de prendre la lune avec les dents ?

SPARK

Cela ne m'amuserait pas.

FANTASIO

Ah ! ah ! qu'en sais-tu ? Prendre la lune avec les dents n'est pas à dédaigner. Allons jouer au trente-et-quarante.

SPARK

Non, en vérité.

FANTASIO

Pourquoi ?

SPARK

Parce que nous perdrions notre argent.

FANTASIO

Ah ! mon Dieu ! qu'est-ce que tu vas imaginer là ! Tu ne sais quoi inventer pour te torturer l'esprit. Tu vois donc tout en noir, misérable ! Perdre notre argent ! tu n'as donc dans le cœur ni foi en Dieu ni espérance ? tu es donc un athée épouvantable, capable de me dessécher le cœur et de me désabuser de tout, moi qui suis plein de sève et de jeunesse !

Il se met à danser.

SPARK

En vérité, il y a de certains moments où je ne jurerais pas que tu n'es pas fou.

FANTASIO, dansant toujours

Qu'on me donne une cloche ! une cloche de verre !

SPARK

A propos de quoi une cloche ?

FANTASIO

Jean-Paul n'a-t-il pas dit qu'un homme absorbé par une grande pensée est comme un plongeur sous sa cloche, au milieu du vaste Océan ? Je n'ai point de cloche, Spark, point de cloche, et je danse comme Jésus-Christ sur le vaste Océan.

SPARK

Fais-toi journaliste ou homme de lettres, Henri, c'est encore le plus efficace moyen qui nous reste de désopiler la misanthropie et d'amortir l'imagination.

FANTASIO

Oh ! je voudrais me passionner pour un homard à la moutarde, pour une grisette, pour une classe de minéraux. Spark ! essayons de bâtir une maison à nous deux.

SPARK

Pourquoi n'écris-tu pas tout ce que tu rêves ? cela ferait un joli recueil.

FANTASIO

Un sonnet vaut mieux qu'un long poème, et un verre de vin vaut mieux qu'un sonnet.

Il boit.

SPARK,

Pourquoi ne voyages-tu pas ? va en Italie.

FANTASIO

J'y ai été.

SPARK

Eh bien ! est-ce que tu ne trouves pas ce pays-là beau ?

FANTASIO

Il y a une quantité de mouches grosses comme des hannetons qui vous piquent toute la nuit.

SPARK

Va en France.

FANTASIO

Il n'y a pas de bon vin du Rhin à Paris.

SPARK

Va en Angleterre.

FANTASIO

J'y suis. Est-ce que les Anglais ont une patrie ? J'aime autant les voir ici que chez eux.

SPARK

Va donc au diable, alors.

FANTASIO

Oh ! s'il y avait un diable dans le ciel ! s'il y avait un enfer, comme je me brûlerais la cervelle pour aller voir tout ça ! Quelle misérable chose que l'homme ! ne pas pouvoir seulement sauter par sa fenêtre sans se casser les jambes ! être obligé de jouer du violon dix ans pour devenir un musicien passable ! Apprendre pour être peintre, pour être palefrenier ! Apprendre pour faire une omelette ! Tiens, Spark, il me prend des envies de m'asseoir sur un parapet, de regarder couler la rivière, et de me mettre à compter un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et ainsi de suite jusqu'au jour de ma mort.

SPARK

 

Ce que tu dis là ferait rire bien des gens ; moi, cela me fait frémir : c'est l'histoire du siècle entier. L'éternité est une grande aire, d'où tous les siècles, comme de jeunes aiglons, se sont envolés tour à tour pour traverser le ciel et disparaître ; le nôtre est arrivé à son tour au bord du nid ; mais on lui a coupé les ailes, et il attend la mort en regardant l'espace dans lequel il ne peut s'élancer.

Commentaire composé

I Le mal du siècle : le spleen

 

Il s’agit ici d’un dialogue entre deux personnages, Fantasio se confesse à Spark. La première réplique nous montre que Fantasio est lassé de tout: “Tu me fais l'effet d'être revenu de tout”. Fantasio joue sur les mots de Spark:”pour être revenu de tout, mon ami, il faut être allé dans bien des endroits”. Il plaisante même avec lui : “où veux-tu que j'aille ?” Fantasio explique qu’il connaît déjà tout de la ville et qu’il ne fait plus que s’ennuyer : “il n'y a pas de places, de rues, de ruelles où je n'aie rôdé trente fois“. Il parle de sa vie comme si il n’était qu’une simple répétition sans aucun sens : “je ne saurais faire un pas sans marcher sur mes pas d'hier”. De plus, il compare cette ville à son cerveau à l’aide d’une métaphore : “cette ville n'est rien auprès de ma cervelle”. Cette réplique montre la solitude du personnage qui n’arrive plus à entrer en contact avec le monde extérieur et son enfermement sur soi. Fantasio définit indirectement le spleen à l’aide de cette métaphore. Il cherche une chose à laquelle s'intéresser pour soigner son ennui même si celle-ci n’est pas importante : “Oh ! je voudrais me passionner pour un homard à la moutarde”. Il veut bâtir un nouveau monde dans lequel il pourra trouver son bonheur car celui-ci ne lui plaît pas : “essayons de bâtir une maison à nous deux”. Fantasio est un personnage très pessimiste puisqu’il ne voit que le mauvais côté des choses : “Il y a une quantité de mouches grosses comme des hannetons qui vous piquent toute la nuit.”. Enfin, il insiste sur son côté malheureux et suicidaire avec cette réplique : “il me prend des envies de m'asseoir sur un parapet, de regarder couler la rivière, et de me mettre à compter un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et ainsi de suite jusqu'au jour de ma mort.” Pour finir, Spark va dans cette réplique explique que ce mal être est en lien avec le spleen “c'est l'histoire du siècle entier”, et qu’il n’est donc pas la seul personne touché par ce malheur, il utilise d’ailleurs une comparaison avec l’oiseau qui ne peut plus voler pour parler des hommes qui n’ont plus aucun but dans la vie :  “mais on lui a coupé les ailes, et il attend la mort en regardant l'espace dans lequel il ne peut s'élancer.”

 

II Un héros romantique en quête de rêve et d’action

 

 

Spark à travers sa tirade veut faire comprendre à Fantasio que le fait de toujours rêver sa vie ne l’aidera pas à être heureux, il explique qu’il est meilleur de profiter du moment présent plutôt que d’attendre à chaque fois une occasion héroïque : “Je ne comprends rien à ce travail perpétuel sur toi-même ; moi, quand je fume, par exemple, ma pensée se fait fumée de tabac ; quand je bois, elle se fait vin d'Espagne ou bière de Flandre”. De plus, en tant que personnage romantique, Fantasio est toujours occupé à des affaires sérieuses. Ainsi Spark explique que le fait de toujours être sérieux empêche Fantasio de s’amuser et donc d’être heureux: “Si cela m'amuse, je suis capable de tout.”. On remarque que Fantasio, en bon héros romantique, parle avec des métaphores, ce qui nous prouve qu’il est poète : “Même de prendre la lune avec les dents ?”. Fantasio qui aime jouer sur les mots va ironiquement retourner la situation en faisant la morale qu’il a subi juste avant à Spark: “Tu ne sais quoi inventer pour te torturer l'esprit. Tu vois donc tout en noir, misérable !”. Le héros romantique est exalté : “moi qui suis plein de sève et de jeunesse !”. C’est d’ailleurs pour ça que son ami le prend pour un fou : “En vérité, il y a de certains moments où je ne jurerais pas que tu n'es pas fou.” La métaphore du plongeur symbolise la difficulté que Fantasio éprouve à maîtriser ses émotions, même s’il prétend le contraire : “Je n'ai point de cloche, Spark, point de cloche, et je danse comme Jésus-Christ sur le vaste Océan.” L’eau représente toujours les émotions qu’il faut réussir à contenir pour être heureux. D’autre part, Spark propose à Fantasio de transformer sa faiblesse en force : “Pourquoi n'écris-tu pas tout ce que tu rêves ?”. Enfin, Fantasio explique qu’il veut constamment pouvoir mener des actions héroïques : “Quelle misérable chose que l'homme ! ne pas pouvoir seulement sauter par sa fenêtre sans se casser les jambes ! être obligé de jouer du violon dix ans pour devenir un musicien passable ! Apprendre pour être peintre, pour être palefrenier ! Apprendre pour faire une omelette !”. Il regarde l’homme de haut en disant que c’est un être faible et décevant.


Écrire commentaire

Commentaires: 0