Lecture analytique de Marguerite DURAS, Moderato cantabile, la leçon de piano

Lecture analytique de Marguerite DURAS, Moderato cantabile, la leçon de piano

Texte

Marguerite DURAS, Moderato cantabile, la leçon de piano

 

 

Veux-tu lire ce qu'il y a d'écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame. 

-Moderato cantabile, dit l'enfant.

 La dame ponctua cette réponse d'un coup de crayon sur le clavier. L'enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition.

 -Et qu'est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ? 

-Je ne sais pas. 

Une femme, assise à trois mètres de là, soupira. 

Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, moderato cantabile ? reprit la dame. 

L'enfant ne répondit pas. La dame poussa un cri d'impuissance étouffé, tout en frappant de nouveau le clavier de son crayon. Pas un cil de l'enfant ne bougea. La dame se retourna. 

-Madame Desbaresdes, quelle tête vous avez là, dit-elle.

 Anne Desbaresdes soupira une nouvelle fois.

-A qui le dites-vous, dit-elle. 

L'enfant, immobile, les yeux baissés, fut seul à se souvenir que le soir venait d'éclater. Il en frémit.

 -Je te l'ai dit la dernière fois, je te l'ai dit l'avant-dernière fois, je te l'ai dit cent fois, tu es sûr de ne pas le savoir ?

 Une vedette passa dans le cadre de la fenêtre ouverte. 

L'enfant, tourné vers sa partition, remua à peine — seule sa mère le sut —alors que la vedette lui passait dans le sang. Le ronronnement feutré du moteur s'entendit dans toute la ville. Rares étaient les bateaux de plaisance. Le rosé de la journée finissante colora le ciel tout entier.

D'autres enfants, ailleurs, sur les quais, arrêtés, regardaient.

 — Sûr, vraiment, une dernière fois, tu es sûr ? 

Encore, la vedette passait. La dame s'étonna de tant d'obstination. Sa colère fléchit et elle se désespéra de si peu compter aux yeux de cet enfant, que d'un geste, pourtant, elle eût pu réduire à la parole, que l'aridité de son sort, soudain, lui apparut.

 — Quel métier, quel métier, quel métier, gémit-elle. 

Anne Desbaresdes ne releva pas le propos, mais sa tête se pencha un peu de la manière, peut-être, d'en convenir. La vedette eut enfin fini de traverser le cadre de la fenêtre ouverte. Le bruit de la mer s'éleva, sans bornes, dans le silence de l'enfant. 

— Moderato ? L'enfant ouvrit sa main, la déplaça et se gratta légèrement le mollet. Son geste fut désinvolte et peut-être la dame convint-elle de son innocence.

 — Je sais pas, dit-il, après s'être gratté. 

 Les couleurs du couchant devinrent tout à coup si glorieuses que la blondeur de cet enfant s'en trouva modifiée.

 — C'est facile, dit la dame un peu plus calmement. Elle se moucha longuement.

 — Quel enfant j'ai là, dit Anne Desbaresdes joyeusement, tout de même, mais quel enfant j'ai fait là, et comment se fait-il qu'il me soit venu avec cet entêtement-là... La dame ne crut pas bon de relever tant d'orgueil.

 — Ça veut dire, dit-elle à l'enfant — écrasée — pour la centième fois, ça veut dire modéré et chantant. 

— Modéré et chantant, dit l'enfant totalement en allé où ? La dame se retourna. — Ah, je vous jure.

 — Terrible, affirma Anne Desbaresdes, en riant, têtu comme une chèvre, terrible. — Recommence, dit la dame.

 L'enfant ne recommença pas.

 — Recommence, j'ai dit. L'enfant ne bougea pas davantage. Le bruit de la mer dans le silence de son obstination se fit entendre de nouveau. Dans un dernier sursaut, le rosé du ciel augmenta. 

 

— Je ne veux pas apprendre le piano, dit l'enfant.

Lecture analytique

“La dame ponctua cette réponse d'un coup de crayon sur le clavier. L'enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition.” : l’enfant oppose une résistance passive face à la violence de l’adulte. Il n’a pas la force physique de s’y opposer mais il en a le courage.

 

“Le bruit de la mer s'éleva, sans bornes, dans le silence de l'enfant.” : la mer est ici poétiquement le reflet des pensées de l’enfant. La mer symbolise les émotions.  

 

“Les couleurs du couchant devinrent tout à coup si glorieuses que la blondeur de cet enfant s'en trouva modifiée.” : l’adjectif “glorieux” signale la présence de Dieu qui veille sur l’enfant. L’enfant apparaît comme un saint avec son auréole et ses cheveux blonds qui représentent la pureté de son coeur.

 

“Quel enfant j'ai là, dit Anne Desbaresdes joyeusement, tout de même, mais quel enfant j'ai fait là, et comment se fait-il qu'il me soit venu avec cet entêtement-là... La dame ne crut pas bon de relever tant d'orgueil.” : la mère est fière du courage de son fils.

 

“Recommence, dit la dame.

 L'enfant ne recommença pas.

 — Recommence, j'ai dit. L'enfant ne bougea pas davantage. Le bruit de la mer dans le silence de son obstination se fit entendre de nouveau. Dans un dernier sursaut, le rosé du ciel augmenta. 

— Je ne veux pas apprendre le piano, dit l'enfant.” : la résolution de l’enfant est appuyée par Dieu qui manifeste son mécontentement à travers “le bruit de la mer”.

 


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