Commentaire composé sur Giraudoux, Amphitryon 38, acte II, scène 2

Commentaire composé sur Giraudoux, Amphitryon 38, acte II, scène 2

Texte

Giraudoux, Amphitryon 38, acte II, scène 2

 

JUPITER : Tu n'as jamais désiré être déesse, ou presque déesse ?  

ALCMÈNE : Certes non. Pourquoi faire ?   

JUPITER : Pour être honorée et révérée de tous.   

ALCMÈNE : Je le suis comme simple femme, c'est plus méritoire.  

JUPITER : Pour être d'une chair plus légère, pour marcher sur les airs, sur les eaux.   

ALCMÈNE : C'est ce que fait toute épouse, alourdie d'un bon mari.  

JUPITER : Pour comprendre les raisons des choses, des autres mondes.  

ALCMÈNE : Les voisins ne m'ont jamais intéressée.   

JUPITER : Alors, pour être immortelle !   

ALCMÈNE : Immortelle ? À quoi bon ? À quoi cela sert-il ?  

JUPITER : Comment, à quoi ! Mais à ne pas mourir !   

ALCMÈNE : Et que ferai-je, si je ne meurs pas ?   

JUPITER : Tu vivras éternellement, chère Alcmène, changée en astre ; tu scintilleras dans la nuit jusqu'à la fin du monde.   

ALCMÈNE : Qui aura lieu ?   

JUPITER : Jamais.   

ALCMÈNE : Charmante soirée ! Et toi, que feras-tu ?   

JUPITER : Ombre sans voix, fondue dans les brumes de l'enfer, je me réjouirai de penser que mon épouse flamboie là-haut, dans l'air sec.   

ALCMÈNE : Tu préfères d'habitude les plaisirs mieux partagés Non, chéri, que les dieux ne comptent pas sur moi pour cet office L'air de la nuit ne vaut d'ailleurs rien à mon teint de blonde Ce que je serais crevassée, au fond de l'éternité !   

JUPITER : Mais que tu seras froide et vaine, au fond de la mort !  

ALCMÈNE : Je ne crains pas la mort. C'est l'enjeu de la vie. Puisque ton Jupiter, à tort ou à raison, a créé la mort sur la terre, je me solidarise avec mon astre. Je sens trop mes fibres continuer celles des autres hommes, des animaux, même des plantes, pour ne pas suivre leur sort. Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il n'y aura pas un légume immortel. Devenir immortel, c'est trahir, pour un humain. D'ailleurs, si je pense au grand repos que donnera la mort à toutes nos petites fatigues, à nos ennuis de second ordre, je lui suis reconnaissante de sa plénitude, de son abondance même S'être impatienté soixante ans pour des vêtements mal teints, des repas mal réussis, et avoir enfin la mort, la constante, l'étalé mort, c'est une récompense hors de toute proportion Pourquoi me regardes-tu soudain de cet air respectueux ?  

JUPITER : C'est que tu es le premier être vraiment humain que je rencontre

Commentaire composé

Dans cette scène Jupiter a pris l'apparence du mari d’Alcmène afin de coucher avec elle. C'est une scène humoristique qui traite d'un sujet grave : la condition mortelle de l’homme. Nous verrons comment, à travers cette discussion entre un dieu et une mortelle, Giraudoux dresse le portrait d'une femme parfaite.

 

I Un dialogue entre un dieu et une mortelle

 

La scène se passe dans la mythologie grecque mais le cadre historique mais que le décor de la fantaisie du dramaturge qui évoque des sujets tels que la vie de couple, l’amour, la vie, la mort. Dans cette scène le spectateur sait que Jupiter se fait passer pour le mari d’Alcmène mais celle-ci l’ignore. On peut donc parler de double énonciation. Le langage familier dans la bouche d'un dieu crée un décalage humoristique. Jupiter, très content de la nuit d'amour qui vient de passer avec Alcmène, lui propose de la transformer en déesse. Mais Alcmène, mais qui ignore que c'est Jupiter qui lui parle, n’y voit qu’une simple conversation amoureuse. Avec cette proposition de transformer Alcmène en déesse, Jupiter essaye de l'enlever définitivement son mari. C'est une véritable scène de séduction au sens étymologique du terme puisque que le mot séduire signifie attirer à soi. Cependant les arguments sincères d’Alcmène renversent la situation, et la femme gagne le respect du dieu.

 

II Alcmène, une femme parfaite

 

Le calme d’Alcmène et la pertinence de ses réponses en font la représentante parfaite de la condition humaine. Elle préfère mériter les honneurs par son comportement exemplaire, plutôt que les hériter par nature en étant une déesse. Elle fait donc l'éloge du mérite en même temps que celui de la condition humaine. La phrase : « c’est ce que fait toute épouse alourdie d’un bon mari » peut avoir plusieurs sens : ce peut-être le poids du corps du mari sur celui de la femme pendant l’amour, mais aussi le pouvoir du corps de la femme enceinte, ou tout simplement le poids moral du mariage. Alcmène n’est donc pas gênée par sa vie charnelle, et elle n'est pas non plus intéressée par l’omniscience : « les voisins n'ont jamais intéressée ». Elle n’a aucune volonté de dominer ni de briller. Elle déclare que le bonheur se trouve dans les choses simples de la vie, et dans le partage.

 

III L’éloge de la vie mortelle

 

C'est donc la mort qui justifie la vie est en fait savourer les plaisirs que l'immortalité rendrait insipide. Toute la poésie employée par Jupiter ne suffit pas à convaincre Alcmène qui se livre à un éloge surprenant de la mort. L'homme serait sur terre pour faire partie d'un ensemble, en communion avec la nature. Alcmène, en tant qu'être humain, se sent solidaire de la condition mortelle de l'humanité qu'elle ne veut pas trahir. De plus, la mort apparaît comme « un grand repos ». Le bonheur terrestre vient donc de la capacité des hommes à vivre en harmonie et à accepter leur condition mortelle sans se soucier des tracas quotidiens auxquels on donne trop d'importance. Il faut donc accepter la vie comme elle est et se concentrer sur les points positifs.


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