Commentaire composé sur Zola, Thérèse Raquin, chapitre 5

Commentaire composé sur Zola, Thérèse Raquin, chapitre 5

Texte

Zola, Thérèse Raquin, chapitre 5

 

Un jeudi, en revenant de son bureau, Camille amena avec lui un grand gaillard, carré des épaules, qu’il poussa dans la boutique d’un geste familier.

— Mère, demanda-t-il à madame Raquin en le lui montrant, reconnais-tu ce monsieur-là ?

La vieille mercière regarda le grand gaillard, chercha dans ses souvenirs et ne trouva rien. Thérèse suivait cette scène d’un air placide.

— Comment ! reprit Camille, tu ne reconnais pas Laurent, le petit Laurent, le fils du père Laurent qui a de si beaux champs de blé du côté de Jeufosse ?… Tu ne te rappelles pas ?… J’allais à l’école avec lui [...]   

Madame Raquin courut à ses casseroles. Thérèse, qui n’avait pas encore prononcé une parole, regardait le nouveau venu. Elle n’avait jamais vu un homme. Laurent, grand, fort, le visage frais, l’étonnait. Elle contemplait avec une sorte d’admiration son front bas, planté d’une rude chevelure noire, ses joues pleines, ses lèvres rouges, sa face régulière, d’une beauté sanguine. Elle arrêta un instant ses regards sur son cou ; ce cou était large et court, gras et puissant. Puis elle s’oublia à considérer les grosses mains qu’il tenait étalées sur ses genoux ; les doigts en étaient carrés ; le poing fermé devait être énorme et aurait pu assommer un bœuf. Laurent était un vrai fils de paysan, d’allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l’air tranquille et entêté. On sentait sous ses vêtements des muscles ronds et développés, tout un corps d’une chair épaisse et ferme. Et Thérèse l’examinait avec curiosité, allant de ses poings à sa face, éprouvant de petits frissons lorsque ses yeux rencontraient son cou de taureau.

Camille étala ses volumes de Buffon et ses livraisons à dix centimes, pour montrer à son ami qu’il travaillait, lui aussi. Puis, comme répondant à une question qu’il s’adressait depuis quelques instants :

— Mais, dit-il à Laurent, tu dois connaître ma femme ? Tu ne te rappelles pas cette petite cousine qui jouait avec nous, à Vernon ?

— J’ai parfaitement reconnu madame, répondit Laurent en regardant Thérèse en face.

Sous ce regard droit, qui semblait pénétrer en elle, la jeune femme éprouva une sorte de malaise. Elle eut un sourire forcé, et échangea quelques mots avec Laurent et son mari ; puis elle se hâta d’aller rejoindre sa tante. Elle souffrait.

On se mit à table. Dès le potage, Camille crut devoir s’occuper de son ami.

— Comment va ton père ? lui demanda-t-il.

— Mais je ne sais pas, répondit Laurent. Nous sommes brouillés ; il y a cinq ans que nous ne nous écrivons plus.

— Bah ! s’écria l’employé, étonné d’une pareille monstruosité.

— Oui, le cher homme a des idées à lui… Comme il est continuellement en procès avec ses voisins, il m’a mis au collège, rêvant de trouver plus tard en moi un avocat qui lui gagnerait toutes ses causes… Oh ! le père Laurent n’a que des ambitions utiles ; il veut tirer parti même de ses folies.

— Et tu n’as pas voulu être avocat ? dit Camille, de plus en plus étonné.

— Ma foi non, reprit son ami en riant… Pendant deux ans, j’ai fait semblant de suivre les cours, afin de toucher la pension de douze cents francs que mon père me servait. Je vivais avec un de mes camarades de collège, qui est peintre, et je m’étais mis à faire aussi de la peinture. Cela m’amusait ; le métier est drôle, pas fatigant. Nous fumions, nous blaguions tout le jour… 

La famille Raquin ouvrait des yeux énormes.

— Par malheur, continua Laurent, cela ne pouvait durer. Le père a su que je lui contais des mensonges, il m’a retranché net mes cent francs par mois, en m’invitant à venir piocher la terre avec lui. J’ai essayé alors de peindre des tableaux de sainteté ; mauvais commerce… Comme j’ai vu clairement que j’allais mourir de faim, j’ai envoyé l’art à tous les diables et j’ai cherché un emploi… Le père mourra bien un de ces jours ; j’attends ça pour vivre sans rien faire.

Laurent parlait d’une voix tranquille. Il venait, en quelques mots, de conter une histoire caractéristique qui le peignait en entier. Au fond, c’était un paresseux, ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables. Ce grand corps puissant ne demandait qu’à ne rien faire, qu’à se vautrer dans une oisiveté et un assouvissement de toutes les heures.


Commentaire composé

I Laurent, une brute

a) Le portrait physique d’un homme fort comme un boeuf

 

Laurent est tout de suite décrit comme “un grand gaillard, carré des épaules”.

Il est aussi décrit comme une brute épaisse : “ son front bas, planté d’une rude chevelure noire, ses joues pleines, ses lèvres rouges, sa face régulière, d’une beauté sanguine.” On insiste sur sa force plus que sur sa beauté.

“ce cou était large et court, gras et puissant.”: Ici, Laurent est présenté comme un animal avec le cou gras et large qui va tout détruire sur son passage, et ici on devine qu’il va symboliquement détruire la famille Raquin.

“les grosses mains qu’il tenait étalées sur ses genoux ; les doigts en étaient carrés ; le poing fermé devait être énorme et aurait pu assommer un bœuf.” : Laurent est inquiétant car avec sa bestialité il pourrait facilement tuer un homme.

“On sentait sous ses vêtements des muscles ronds et développés, tout un corps d’une chair épaisse et ferme.”: Il est comparé à de la chair animale qui a beaucoup de muscles et donc il est imposant et se montre comme quelqu’un de puissant, il est inquiétant.

“son cou de taureau.”: Ici Laurent est complètement assimilé à un taureau aussi bien physiquement que moralement.

 

b) La brutalité morale

 

“Pendant deux ans, j’ai fait semblant de suivre les cours, afin de toucher la pension de douze cents francs que mon père me servait.”: Laurent est ignoble, il s’est servi de l’argent durement gagné que son père lui donnait pour lui mentir en lui faisant croire qu’il allait en cours. C’est un manque de respect pour son père qui travaille dans des conditions très difficiles et qui s’est donné tout le mal possible pour que son fils ait un travail bien rémunéré et une meilleure condition sociale que la sienne : “Et tu n’as pas voulu être avocat ? dit Camille, de plus en plus étonné”.

“Le père mourra bien un de ces jours ; j’attends ça pour vivre sans rien faire.” : Laurent n’hésite pas à attendre avec impatience la mort de son père pour pouvoir s’emparer de ses biens, ce qui est immoral et cruel. Il n’a pas honte de le dire à ses amis qui sont choqués : “La famille Raquin ouvrait des yeux énormes”, on en déduit qu’il serait capable de tuer quelqu’un sans éprouver le moindre état d’âme.

“Au fond, c’était un paresseux, ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables” :  Laurent n’a pas de caractéristiques humaines, il représente la bestialité par opposition à la civilisation.

 

II) Le désir de Thérèse pour Laurent

a) Les silences

 

“Thérèse, qui n’avait pas encore prononcé une parole, regardait le nouveau venu” : Elle reste silencieuse pour observer Laurent qui vient de rentrer dans la pièce ; cela suggère qu’elle tombe sous son charme.

“Elle eut un sourire forcé, et échangea quelques mots avec Laurent et son mari ; puis elle se hâta d’aller rejoindre sa tante. Elle souffrait.” : Thérèse à honte de ce qu’elle ressent pour Laurent et à peur de devenir animal comme lui, donc elle préfère se cacher de lui .

 

b) Les jeux de regards

 

Thérèse est très surprise quand elle voit Laurent car pour elle son mari n’était pas viril, donc en voyant Laurent qui est très grand cela lui a changé, on comprend aussi que c’est la première fois qu’elle éprouve du désir : “Elle n’avait jamais vu un homme.”

“Elle arrêta un instant ses regards sur son cou ; ce cou était large et court, gras et puissant.” : Thérèse ne peut s’empêcher de regarder le cou de Laurent qui pour elle est sexy car il évoque une force masculine qui fait défaut à Camille.

“Puis elle s’oublia” : Thérèse est en plein fantasme au sujet de Laurent et se laisse aller à l’observer.

“Et Thérèse l’examinait avec curiosité, allant de ses poings à sa face, éprouvant de petits frissons lorsque ses yeux rencontraient son cou de taureau.” : La description des sensations physiques du désir est caractéristique de l’écriture naturaliste.

 

“Sous ce regard droit, qui semblait pénétrer en elle, la jeune femme éprouva une sorte de malaise.” : Zola introduit ici une métaphore de l’acte sexuel , prolepse de la future liaison entre Thérèse et Laurent.

 


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