Commentaire composé sur l'incipit de La Chute d'Albert Camus

Commentaire composé sur l'incipit de La Chute d'Albert Camus

I) Un début in medias res

 

Dans cet incipit, aucune information spatio-temporelle ne nous est donnée. On ne sait pas à qui s’adresse le narrateur et qui il est. On est en focalisation interne, au discours direct, mais il n’y a pas de guillemets. C’est un début in medias res qui ouvre le roman par une question. “Puis-je, monsieur vous proposer mes services, sans risquer d'être importun ?”

On déduit, grâce a la phrase “A moins que vous [...] désirez du genièvre ?”  que le narrateur se trouve dans un bar et parle d’un barman.

Le narrateur indique son intention de partir alors qu’on n’a toujours aucune information sur lui. Il semble qu’il parlait et insultait le barman juste pour attirer l’attention, et pour son auto-satisfaction orgueilleuse : “Mais je me retire, monsieur heureux de vous avoir obligé”.

On a une indication sur la localisation du bar, seulement dans le 2eme paragraphe donc les informations sont données de manière sporadique, on finit par connaître le nom du bar “Mexico City”. Le barman est propriétaire de “ce bar d'Amsterdam”.

Le narrateur pose une fausse question qui est en fait une question rhétorique puisqu’il ne laisse pas à l’autre le temps de répondre.  “Avec de tels devoirs, on peut craindre, ne pensez vous pas, que son ignorance soit inconfortable ?” 

Le narrateur utilise un vocabulaire juridique (“plaider votre cause”) et construit son discours comme une plaidoirie, on apprendra dans la suite du roman qu’il est avocat.

On comprend que le narrateur est un habitué du bar puisqu’il dit : “Une des rares phrases que j'ai entendues de sa bouche”.

 

II) L’incommunicabilité

 

Le narrateur ne communique pas avec le barman, à tel point qu’il “ose espérer qu'il [l]'a compris”. Le barman ne communique pas avec la parole mais avec des gestes.

L’auteur cherche à nous montrer que la communication n’est pas possible. “Vous avez de la chance, il n'a pas grogné”.

Le narrateur dit que le barman est un animal. Mais, les personnes servies comprennent le grognement du barman, elles s’adaptent à son langage primitif, comme si elles le parlaient aussi : “Quand il refuse de servir, un grognement lui suffit ; personne n'insiste.” 

Dans le deuxième paragraphe, on se demande si c’est l’interlocuteur qui répond au narrateur, mais plus on s’avance dans la lecture et plus il semble que c’est toujours le même personnage qui monopolise la parole avec un ironique “vous avez raison”. 

C’est le langage articulé qui distingue l’homme de l’animal et permet une communication élaborée : “Je m'étonne parfois de l'obstination que met notre taciturne ami à bouder les langues civilisées”. 

Le narrateur fait une référence à la tour de Babel pour accentuer le fait que le barman ne parle pas correctement, que le barman ne sait pas s’exprimer : “Imaginez l'homme de Cro-Magnon pensionnaire à la tour de Babel !” 

Cependant le barman est peut-être un véritable philosophe car il a compris que le langage est impuissant à créer un lien entre les hommes et il a donc sagement renoncé à parler.

 

III) Le cynisme 

 

Il se moque directement du barman et utilise l’ironie : “Je crains que vous ne sachiez vous faire entendre de l'estimable gorille qui préside aux destinées de cet établissement.” II dénigre le barman à cause de son silence. Il “ose espérer qu'il [l]'a compris”. Camus fait un parallélisme avec la fable de La Fontaine “Le lièvre et la tortue” dans laquelle il est dit que le lièvre “se hâte avec lenteur”. Il compare la lenteur des gestes du barman à la lenteur de son esprit, de ses pensées.

Au lieu de répondre à ses attaques verbales, le narrateur se demande si il n’allait pas s'énerver comme les animaux le font, avec un grognement : “Vous avez de la chance, il n'a pas grogné”.

Dans la société animale, les plus forts sont ceux qui expriment leur humeur pour imprimer la peur aux autres, et le barman fait de même, ce qui accentue son apparence primitive et la comparaison avec un gorille : “Être roi de ses humeurs, c'est le privilège des grands animaux.” 

Le narrateur ironise sur le fait qu’il est pénible, très agaçant : “Je vous remercie et j'accepterais si j'étais sûr de ne pas jouer les fâcheux.”

Le narrateur fait un oxymore ironique : “Vous avez raison, son mutisme est assourdissant”. Il revient sur la métaphore du gorille, que le barman est comme un animal primitif tout en lui disant qu’il vaut mieux se taire.

Il y a une réflexion sur la nécessité de parler plusieurs langues pour communiquer avec le plus grand nombre de personnes : “bouder les langues civilisées. Son métier consiste à recevoir des marins de toutes les nationalités”.

Le narrateur n’a aucun droit de juger le barman, ce qui nous le présente comme un personnage odieux : “qu'il a appelé d'ailleurs, on ne sait pourquoi, Mexico City”.

La tour de Babel a été construite par des personnes parlant de différentes langues. On voit davantage la caractère cynique du personnage, qui se moque de la manière de s’exprimer du barman,et qui du coup le juge comme un être inférieur : “Imaginez l'homme de Cro-Magnon pensionnaire à la tour de Babel !” 

Le narrateur se moque du barman en suggérant que comme toutes les personnes stupides, il ne sait pas qu’il est bête : “Mais non, celui-ci ne sent pas son exil”.

Le narrateur pose une question rhétorique afin de montrer son mépris :  “Que fallait-il prendre ou laisser ? Sans doute, notre ami lui-même”. 

Le cynisme du narrateur est encore plus accentué, il le traite encore comme une bête, un sujet d'expérimentation scientifique : “Je vous l'avouerai, je suis attiré par ces créatures tout d'une pièce.” 

 

Finalement, le narrateur nous livre sa réflexion finale qui est qu’être un homme c’est difficile parce que réfléchir sans cesse c’est fatigant. Il nous donne donc une vision nihiliste de l’existence : “Quand on a beaucoup médité sur l'homme, par métier ou par vocation, il arrive qu'on éprouve de la nostalgie pour les primates. Ils n'ont pas, eux, d'arrière-pensées.” 

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