Commentaire composé sur Charles Sorel, Histoire comique de Francion, 7ème livre

Commentaire composé sur Charles Sorel, Histoire comique de Francion, 7ème livre

Texte

Charles Sorel, Histoire comique de Francion, 7ème livre, 1623

Raymond, rompant alors leur entretien, le tira à part, et lui demanda s’il n’étoit pas au suprême degré des contentemens, en voyant auprès de lui sa bien-aimée. Afin que je ne vous cèle rien, répondit-il, j’ai plus de désirs qu’il n’y a de grains de sable en la mer ; c’est pourquoi je crains grandement que je n’aie jamais de repos. J’aime bien Laurette, et serai bien aise de jouir d’elle ; mais je voudrois bien pareillement jouir d’une infinité d’autres que je n’affectionne pas moins qu’elle. Toujours la belle Diane, la parfaite Flore, l’attrayante Belize, la gentille Janthe, l’incomparable Marphize, et une infinité d’autres, se viennent représenter à mon imagination, avec tous les appas qu’elles possèdent, et ceux encore que possible elles ne possèdent pas. Si l’on vous enfermoit pourtant dans une chambre avec toutes ces dames-là, dit Raymond, ce seroit, possible, tout ce que vous pourriez faire que d’en contenter une. Je vous l’avoue, reprit Francion,mais je voudrois jouir aujourd’hui de l’une, et demain de l’autre. Que si elles ne se trouvoient satisfaites de mes efforts, elles chercheroient, si bon leur sembloit, quelqu’un qui aidât à assouvir leurs appétits.

Agathe, étant derrière lui, écoutoit ce discours, et, en l’interrompant, lui dit : Ah ! mon enfant, que vous êtes d’une bonne et louable humeur ? Je vois bien que, si tout le monde vous ressembloit, l’on ne sçauroit ce que c’est que de mariage, et l’on n’en observeroit jamais la loi. Vous dites vrai, répondit Francion ; aussi n’y a-t-il rien qui nous apporte tant de maux que ce fâcheux lien, et l’honneur, ce cruel tyran de nos désirs. Si nous prenons une belle femme, elle sera caressée de chacun, sans que nous le puissions empêcher : le vulgaire, qui est infiniment soupçonneux, et qui s’attache aux moindres apparences, vous tiendra pour un cocu, encore qu’elle soit femme de bien, et vous fera mille injures ; car, s’il voit quelqu’un parler à elle dans une rue, il croit qu’elle prend bien une autre licence dedans une maison. Si, pour éviter ce mal, on épouse une femme laide, pensant éviter un gouffre, l’on tombe dedans un autre plus dangereux : l’on n’a jamais ni bien ni joie ; l’on est au désespoir d’avoir toujours pour compagne une furie au lit et à la table. Il vaudroit bien mieux que nous fussions tous libres : l’on se joindroit sans se joindre avec celle qui plairoit le plus ; lorsque l’on en seroit las, il seroit permis de la quitter. Si, s’étant donnée à vous, elle ne laissoit pas de prostituer son corps à quelque autre, quand cela viendroit à votre connnoissance, vous ne vous en offenseriez point ; car les chimères d’honneur ne seroient point dans votre cervelle, et il ne vous seroit pas défendu d’aller de même caresser toutes les amies des autres. Il n’y auroit plus que des bâtards au monde, et par conséquent l’on n’y verroit rien que de très-braves hommes. Tous ceux qui le sont ont toujours quelque chose au-dessus du vulgaire. L’antiquité n’a point eu de héros qui ne l’aient été. Hercule, Thésée, Romulus, Alexandre, et plusieurs autres, l’étoient. Vous me représenterez que, si les femmes étoient communes comme en la république de Platon, l’on ne sçauroit pas à quels hommes appartiendroient les enfans qu’elles engendreroient ; mais qu’importe cela ? Laurette, qui ne sçait qui est son père ni sa mère, et qui ne se soucie point de s’en enquérir, peut-elle avoir quelque ennui pour cela, si ce n’est celui que lui pourroit causer une sotte curiosité ? Or cette curiosité n’auroit point de lieu, parce que l’on considéreroit qu’elle seroit vaine, et il n’y a que les insensés qui souhaitent l’impossible. Ceci seroit cause d’un très-grand bien, car l’on seroit contraint d’abolir toute prééminence et toute noblesse ; chacun seroit égal et les fruits de la terre seroient communs. Les lois naturelles seroient alors révérées toutes seules, et l’on vivroit comme au siècle d’or. Il y a beaucoup d’autres choses à dire sur cette matière, mais je les réserve pour une autre fois.

Après que Francion eut ainsi parlé, soit par raillerie ou à bon escient, Raymond et Agathe approuvèrent ses raisons, et lui dirent qu’il falloit, pour cette heure-là, qu’il se contentât de jouir seulement de Laurette. Il répondit qu’il tâcheroit de le faire. 

Commentaire composé

Le discours de Francion sert-il à légitimer ses penchants ou a-t-il une portée libératrice ?

 

I Comment le personnage de Francion conçoit-il la relation amoureuse ?

Dans ce passage, le personnage de Francion nous révèle sa vision de la relation amoureuse. Selon lui, une relation amoureuse n’est pas basée sur les sentiments, mais sur les plaisirs sexuels : “je voudrois bien pareillement jouir d’une infinité d’autres que je n’affectionne pas moins qu’elle”.

Francion désire être avec plusieurs femmes à la fois qu’il n’aime pas nécessairement car c’est un libertin. “je voudrois jouir aujourd’hui de l’une, et demain de l’autre.”

Francion ne parle pas des sentiments, on a l’impression que selon lui les femmes sont des objets, qu’elles n’ont pas d’esprit. 

 

II Par quels arguments Francion remet-il en cause la loi du mariage ?

Le mariage est d'après Francion une perte totale de liberté. Le fait de se lier à une femme lui fait perdre toute sa liberté, car il sera condamné a rester avec elle. Au contraire, Francion est une personne qui préfère rester en relation avec plusieurs femmes, sans engagement : “Vous dites vrai, répondit Francion ; aussi n’y a-t-il rien qui nous apporte tant de maux que ce fâcheux lien, et l’honneur, ce cruel tyran de nos désirs.”

 

III Sur quel principe est fondée la société que Francion désire ?

La société que Francion desire est tirée de plusieurs principes d’autres sociétés, comme celle imaginée par Platon dans La République, et même la société des animaux sauvages : “Les lois naturelles seroient alors révérées toutes seules, et l’on vivroit comme au siècle d’or.” Chez les animaux, les enfants sont souvent élevés en groupe avec les mères (par exemple les éléphants et les orques). Francion désire cette même société, c’est-à-dire que s’il arrivait qu’une de ses amantes tombe enceinte, les bâtards seraient élevés par les mères. Il prend aussi une idée de la société imaginée par Platon dans La République qui reprend la même idée que la société animalière. 

“Hercule, Thésée, Romulus, Alexandre” sont des bâtards mythiques qui ont réussi à être de grands personnages. Francion nous dit donc que les bâtards pourront réussir dans la vie.


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