Commentaire composé sur Pauca Meae V Elle avait pris ce pli

Commentaire composé sur Pauca Meae V Elle avait pris ce pli

I) Le portrait de Léopoldine

 

Dans les vers 1 et 2, les allitérations en [p] évoquent les pas de l’enfant qu’on entend sur le parquet, et les allitérations en [s] et [ch] miment le chuchotement de l’enfant à l’oreille du papa. Léopoldine est fusionnelle avec Victor Hugo sur le plan affectif et intellectuel. Elle partage les mêmes passions que son père “que de soirs d’hiver radieux et charmants Passés à raisonner langue, histoire et grammaire”. Léopoldine est décrite par son père comme une enfant joyeuse et active, ce qui est matérialisé dans le poème par le rythme rapide imprimé par la ponctuation : “Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait”. C’était un esprit libre : “Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe.” Hugo souligne que Léopoldine “aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts, Et c’était un esprit avant d’être une femme”, ce qui est très important pour lui car en tant que poète romantique, il a une relation privilégiée avec la nature sur laquelle il projette ses émotions, et il vit des expériences mystiques en contemplant Dieu et en dialoguant avec le Saint-Esprit, d’où le titre du recueil “Les Contemplations”.

 

II) L’autoportrait de Victor Hugo

 

Léopoldine inspire son père comme une muse, et rend son travail d’autant plus intéressant “Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse, [...] Et mainte page blanche entre ses mains froissée Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.” Hugo était en admiration devant sa fille “Et c’était un esprit avant d’être une femme.Son regard reflétait la clarté de son âme.” C’est un poème élégiaque, Hugo ressent de la nostalgie envers les moments passés avec sa famille : “Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère Tout près, quelques amis causant au coin du feu ! J’appelais cette vie être content de peu ! Et dire qu’elle est morte !” La ponctuation montre le désespoir du poète. Hugo essaye de la faire revivre en introduisant du discours dans son récit : “ Elle entrait, et disait : « Bonjour, mon petit père ». Il alterne les souvenirs heureux et malheureux dans son récit : “Tout près, quelques amis causant au coin du feu ! J’appelais cette vie être content de peu ! Et dire qu’elle est morte ! hélas ! que Dieu m’assiste !” Leur lien étant très fusionnel, Hugo perd une partie de lui à la mort de sa fille : “Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste ; J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux”. Depuis la mort de Léopoldine, le bonheur ne semble plus possible pour Hugo.

Etude linéaire du poème

Introduction : Amorce Les Contemplations de Victor Hugo publié en 1856 sont un recueil poétique. C’est la « grande pyramide » de Victor Hugo. Constitué de deux grandes parties intitulées « Autrefois » et « aujourd’hui » dont la transition se situe en 1843, date de la mort accidentelle par noyade de sa fille Léopoldine, ce recueil chronologique est un recueil de souvenirs, de l’amour, de la joie, de la mort, du deuil et même de la foi mystique. A cette époque, Victor Hugo avait été exilé à jersey à cause de son opinion politique qui différait de celle de Napoléon le petit. En 1855, il est expulsé de Jersey et contraint de se réfugier sur l’île de Guernesey. C'est alors qu'Hugo est en plein exil que les Contemplations paraissent chez un éditeur Belge, an avant Les Fleurs du mal.

Reprise sujet Le poème romantique « elle avait pris son pli » est le 93ème poème des Contemplations. Appartenant au livre 4 : Pauca Meae (livre du deuil), c’est un poème emblématique du recueil. Écrit en novembre 1846, il évoque une scène intime liée au souvenir de Léopoldine

Problématique : Comment ce poème qui évoque le souvenir de Léopoldine s’apparente-t-il a une oraison funèbre ?

Plan : le plan de mon explication suivra le mouvement du poème : v.1-13 le souvenir de Léopoldine, v.14-22 le portrait moral de Léopoldine et v.24-26 le deuil de Léopoldine

 

I) Le souvenir de Léopoldine (v.1-13)

1) La douceur de l’habitude (v.1-7)

 

Le poème commence par l’évocation de souvenirs d’enfance de Léopoldine.

Le plus-que-parfait du 1er vers « avait pris » et le complément circonstanciel de temps « dans son âge enfantin » donne immédiatement un caractère lointain.

Toutefois le poète retrouve la douceur de l’harmonie familiale à travers l’habitude comme le suggère le terme « pli » ainsi que les imparfaits itératifs « je l’attendais » « elle entrait » « disait ».

La comparaison entre Léopoldine et un rayon de soleil au vers 3 « ainsi qu’un rayon qu’on espère » Donne une image angélique et solaire de Léopoldine + Champ lexical de la lumière « matin » « rayon » « clarté ».

Victor Hugo conjure le deuil et fait revivre Léopoldine grâce au discours direct « Bonjour mon petit père » v 4 avec le thème affectueux « petit » qui exprime l’harmonie père-fille.

Énumération des verbes d’action souligne l’énergie infantile de Léopoldine : « Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait » « Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait »

Le rejet « sur mon lit » v6 mime également le mouvement incessant de l’enfant. 

Ce portrait en action fait renaître Léopoldine dont Victor Hugo suit le moindre de ses gestes comme le suggère les adverbes temporels « puis soudain » v.7

La comparaison « comme un oiseau qui passe » joue avec la polysémie du verbe « passer » qui signifie le mouvement mais aussi le passage inéluctable du temps qui conduit vers la mort.

La remontée du souvenir fait en effet remonter la douleur du deuil

 

2)Un souvenir littéraire (v.8-13)

 

Léopoldine est évoquée comme une muse qui a inspiré son père. 

Des vers 8 à 13, le champ lexical de la littérature « ma plume » « mes livres » « mes papiers » « mon œuvre » « mes manuscrits » crée un effet de miroir entre Léopoldine et l’œuvre littéraire de Hugo.

Les déterminants possessifs à la première personne « mon œuvre » « mes manuscrits » expriment un lien de filiation avec l’œuvre littéraire qui reflète le lien de filiation avec Léopoldine.

Les « quelques arabesques folles » font écho aux mouvements de l’écriture de Victor Hugo. 

La présence de l’enfant inspire le plus doux vers du poète. 

Léopoldine devient une muse qui prend même la place de l’écrivain puisqu’elle froisse elle-même les pages blanches comme un poète au travail « et maintes pages blanches entre ces mots froissées » v.12. C’est la véritable poétesse des contemplations.

 

II) Le portrait moral de Léopoldine (v.14-22)

1) Léopoldine un être spirituel (v.14-17)

 

Le poème « elle avait pris son pli » commençait par un portrait en action de Léopoldine. À partir du vers 14 il se poursuit par un portrait moral de l’enfant qui évoque ses goûts (« elle aimait ») « Elle aimait Dieu les fleurs les astres les prés verts »

L’énumération du vers 14 fait alterner des éléments céleste (« dieu » « les astres ») et des éléments terrestres (« les fleurs, les pré verts »), suggérant que Léopoldine fait le lien entre terrestre et spirituel. C’est une demi-déesse.

On retrouve cette antithèse entre le spirituel et le terrestre au vers 15 « et c’était un esprit avant d’être une femme ».

C’est champ lexical de la spiritualité donne l’impression de faire parler l’âme de Léopoldine : « Dieu », « astres », « esprit », « regard, « clarté » « amé »

L’hyperbole « Elle me consultait sur tout à tous moments montre une communication intuitive entre Hugo et sa fille qui s’apparente à du spiritisme poétique (Victor Hugo était adepte du spiritisme).

 

2) Le portrait d’une famille heureuse v.18-22

 

Ce portrait moral se double d’un portrait de famille heureuse.

L’interjection « Oh ! » v.18 interrompt l’action immortalise de manière statique une scène.

Victor Hugo compose en effet un tableau très visuel grâce au complément circonstanciel de lieu « sur mes genoux » « tout près » « au coin du feu » qui dessine le tableau d’une famille heureuse.

Ce tableau idyllique symbolise l’unité et l’harmonie familiale perdues.

Victor Hugo donne à cette occasion une courte définition de la poésie au vers 19, à travers l’énumération » raisonner langue, histoire, grammaire ». La poésie est inspiration, mais elle est aussi fondée sur le raisonnement et sur la rigueur syntaxique. Elle est également en arrêt total ou la totalité des savoirs est convoqué (l’histoire).

Victor Hugo achète ce tableau familial par un vers épicurien qui invite à trouver le bonheur dans des plaisirs simples : « j’appelais cette vie être content de peu ! » v.22

L’imparfait « j’appelais » souligne la nostalgie du poète qui sait que sa fille n’est plus et qui connaît désormais la fragilité de ce bonheur.

 

III) Le deuil de Léopoldine v.24-26

1) Une élégie V. 24

 

La fin du poème prend une tonalité funèbre : « et dire qu’elle est morte ! Hélas ! Que Dieu m’assiste ! » v.24

À l’imparfait rassurant qui évoquer des souvenirs heureux succèdent la violence d’un présent « Elle est morte » qui dit la mort sans fard et sans euphémisme.

L’interjection « hélas » donne une tonalité élégiaque à ce poème : il s’agit d’une plainte ! 

Ce poème devient même une prière lorsque le poète évoque Dieu : « que Dieu m’assiste ! »

 

2) Une fusion perdue

 

Dans ce poème à la mémoire de Léopoldine, Victor Hugo fait part d’un amour fusionnel qui n’est plus et qui transparaît dans le chiasme : j’étais mort au milieu du bal le plus joyeux/si j’avais, en partant, vu quelques ombres en ses yeux.

Les termes « morne » et « ombre » se répondent, comme si le père et la fille étaient le miroir l’un de l’autre.

Il montre également que le bonheur passé (« bal » « joyeux ») est encadré, et donc assombri par le deuil (« morne », « ombre »).

Le poème s’achève ainsi comme une oraison funèbre, c’est-à-dire en discours prononcé à la mémoire d’une personne décédée.

On remarque à la fin de la lecture que le poème a été écrit à la Toussaint en novembre 1846, jour des morts.

Comme dans une oraison funèbre, le poème mentionnant un raccourci saisissant toutes les étapes de la vie de Léopoldine : son âge enfantin une femme elle est morte. Sa structuration rappelle les représentations iconographique les trois âges de la vie de Hans Baldung Grien (peintre). Léopoldine grandit tout au long du poème pour finalement mourir.

 

Conclusion : à travers un poème intimiste, Victor Hugo évoque en un raccourci saisissant toutes les étapes de la vie de Léopoldine : » son âge enfantin » « une femme » « elle est morte ». 

C’est poème, qui s’apparente ainsi à une oraison funèbre, évoque le deuil mais c’est aussi de Léopoldine une muse poétique.

On retrouve la même pudeur et la même tonalité intimiste dans le poème demain dès l’aube écrit un an plus tard en 1847.

Écrire commentaire

Commentaires: 0