Analyse de Automne malade de Guillaume Apollinaire dans Alcools

Analyse de Automne malade de Guillaume Apollinaire dans Alcools

Commentaire composé

I) Une allégorie de la fuite du temps

a) La maladie qui conduit à la mort

“Automne malade” sont les premiers mots de ce poème mais fait également référence au titre. Apollinaire commence son poème par une allégorie négative puisque le narrateur personnifie l’automne qui est une saison en le présentant comme malade. La mort de l’automne nous informe de l’arrivée de l’hiver : “Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies”.  L’allitération en [f] évoque le souffle du vent, comme une personne rendant son dernier souffle. Le vent qui souffle sur les feuilles mortes est une métaphore de la mort qui emporte les vies : “feuille à feuille Les feuilles Qu'on foule” La mort est le symbole du voyage avec un aller simple : “Un train Qui roule La vie S'écoule”. Nous pouvons noter l'omniprésence du champs lexical de la fuite du temps : “ mourras”,  “soufflera”, “Meurs”, “tombant” “cueille”, “foule”, “roule” et “S'écoule”.

 

b) Le rythme

Apollinaire traite ainsi le thème traditionnel de l’automne qui symbolise la fuite du temps avec un style d’écriture moderne grâce à l’hétérométrie. De plus, les strophes sont déséquilibrées. Le rythme devient ainsi extrêmement rapide. La longueur des vers diminue pour signifier la fin de la vie de l’ automne. On termine le poème sur un seul mot, “S’écoule” comme le dernier mot que l’on prononce avant de mourir.  L’absence de rimes et l’hétérométrie reflètent le battement du cœur du poète, en lien avec le désordre amoureux qu’il ressent. 

 

II) Une évocation du malheur amoureux

a) Le lyrisme

Le poète utilise le thème romantique du paysage état d’âme, qu’il modernise pour évoquer le malheur amoureux : “Automne malade”. La forêt représente l'âme du narrateur victime d’une rupture amoureuse : “Le vent et la forêt qui pleurent”. Les feuilles qui tombent peuvent être perçues comme les larmes du poète dont les émotions sont si fortes qu’elles rejaillissent sur le paysage : “Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille”. Les feuilles se détachent des arbres comme la femme aimée se détache du poète en mettant fin à leur relation amoureuse.

 Apollinaire fait de l’ouragan une allégorie du chagrin d’amour qui peut dévaster un cœur au point de le rendre suicidaire :“Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies”. Le narrateur fait allusion à ses anciennes maîtresses qui l’ont quitté : “qui n’ont jamais aimé”. Les feuilles qui se détachent des arbres sont une métaphore de la femme aimée qui se détache du poète lors de la rupture amoureuse. La femme est perçue comme cruelle puisqu’elle séduit le poète pour mieux lui briser le coeur tel un oiseau de proie : “Au fond du ciel Des éperviers planent Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines Qui n'ont jamais aimé”. Le poète évoque le chant d’amour du cerf pour représenter son besoin d’être aimé : “Aux lisières lointaines Les cerfs ont bramé”. C’est un poème lyrique puisque le poète y développe ses propres émotions : “Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs”. 

 

b) La compassion

Le poète évoque l’hiver pour exprimer un désamour qu’il subit et qui le glace : “Quand il aura neigé Dans les vergers Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse De neige et de fruits mûrs”.  Les fruits peuvent également être une référence au désir du poète qui ne sera pas assouvi : “Les fruits tombant sans qu'on les cueille”. Ici, la chute des feuilles montre que le poète est si malheureux que la nature pleure avec lui : “Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille”, la forêt étant le lieu où l'on se perd pour mieux se retrouver. Enfin nous pouvons voir une allusion à toutes les personnes qui meurent sans avoir connu le grand amour : “Les fruits tombant sans qu'on les cueille”, ce qui renvoie encore à l’expérience malheureuse du narrateur. 

Etude linéaire

I) Vers 1 à 4 : au chevet d’un automne mourant

« Automne » thème lyrique ancien ; Union des ressources d’un lyrisme traditionnel et d'une versification moderne et libre qui s’adapte aux mouvements de l’âme du poète. - apostrophe : « Automne malade et adoré » (v 1). Personnification de l’automne. C’est une étonnante déclaration d’amour à une saison, à laquelle il s’adresse comme une personne douée de vie, que produit ici le poète. - Apollinaire d’adresse directement à cette saison qu’il semble aimer en témoigne l’adjectif qualificatif « adoré » présent dans le rythme binaire : « malade et adoré ». - Cependant, « malade » annonce le déclin de cette saison. « malade » = mort de l’automne, arbres perdent leurs feuilles en automne, comme des cheveux lors d’une maladie. Apollinaire vient à son chevet pour le consoler et lui donner du courage. Maladie / tendresse / mélancolie = thème cher au romantisme.

Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies - Vers 2 : futur prophétique : « Tu mourras ». - Les deux propositions subordonnées circonstancielles de temps : « quand l’ouragan soufflera dans les roseraies » et « quand il aura neigé » (v 2 et 3) montrent que l’automne est victime d’éléments naturels plus forts que lui contre lesquels il ne peut rien. - La longueur du vers, en effet, suggère la puissance du vent qui va mettre fin à sa vie. L’allitération en [r] : « mourras/ ouragan / roseraies » fait résonner le souffle de l’ouragan et mime la mort de cette saison. On sent qu’il a de la compassion pour l’automne ; il est « malade », il mourra bientôt, vaincu par des éléments naturels plus forts que lui (« l’ouragan », « la neige »).

Le poème est adressé à l’automne « tu » emploi du pronom de la 2ème personne intimité, élément naturel, ce qui évoque les grands poèmes romantiques comme ceux de Lamartine.

Vers 2 : alliance de sonorités reprenant celles de l’ouragan. Hommage immédiat aux poètes qui ont précédé Apollinaire, en particulier aux poètes romantiques. « tu mourras » emploi du futur, déterminé, apparition du destin. En effet le cycle éternel des saisons oblige l’automne à mourir. Impuissance, donc mélancolie.

Mais annonce que leur art est révolu à travers le thème de l’automne romantique balayé par l’ouragan moderne : la neige va ouvrir une nouvelle page blanche pour un nouvel art poétique.

 

II) Vers 5 à 13 : une mélancolie amoureuse

La compassion du poète s’exprime dans le cinquième vers grâce à la personnification : « Pauvre automne ».

Le poète est en empathie avec l’automne, il éprouve de la compassion pour cette saison qui va vite disparaître en dépit de sa richesse (les fruits, évoqués deux fois vers 7 et 15, tombent « sans qu’on lescueille »).

Parallélisme « blancheur » // « richesse », « neige » // « fruits mûrs »

Sa mort est imminente, il ne peut l’éviter et le futur laisse place à l’impératif « Meurs». Mais l’automnedisparaît avec splendeur. Effectivement, les éléments qui le caractérisent sont mélioratifs : « blancheur », «richesse », « fruits mûrs » (v 6-7).

Style carré, régulier, classique : l’automne représente l’ancienneté qui va mourir avec panache à l’arrivée de la modernité : forme en calligramme du poème.

L’hiver chasse l’automne comme le montre la référence, à deux reprises, à la neige : «blancheur » (v 6), « de neige » (v 7).

Oiseaux de proies, nouveaux maître des cieux. Topos du poète oiseau, cher aux romantiques, (Baudelaire « L’Albatros ») cette fois-ci chasseur et non plus proie. Prêts à fondre en un clin d’œil. Ils symbolisent l’art nouveau qui frappe l’ancien ici représenté par les innocentes et naïves « nixes nicettes » : nymphes de la mythologie germanique : le romantisme s’est d’abord développé outre Rhin, en Prusse. Pointe d’ironie moqueuse avec le désuet « nicettes », rimes interne riche [ni], // négation et refus des codes romantiques + « ne...jamais ».

« n’ont jamais aimé » : traditionnellement les nixes attiraient les hommes par leurs danses et leur musique puis les noyaient.

Le vers 11 : « Qui n’ont jamais aimé », grâce à la négation partielle, peint un amour non partagé.

La paronomase : « nixes nicettes » crée un jeu sonore inquiétant, + apparence effrayante et difformité : «aux cheveux verts et naines ». Le poète joue avec les conventions poétiques en proposant un alexandrin dans cette strophe en vers libres. Les nixes rappellent les sirènes maléfiques du poème : « Nuit rhénane ».

Symbolisent Annie Playden qui a rejeté la passion d’Apollinaire.

Vers 12/13 : deux vers courts en distique qui mettent en valeur le brame des cerfs et l’isolent « aux lisières lointaines »

Les vers 12 et 13 créent un distique assez surprenant mais surtout moderne si l’on considère la longueur de la strophe précédente. La référence au cri des cerfs au vers 13 est singulier. Nous pouvons noter que l’évocation amoureuse est, ici, très charnelle. C’est suite à ce cri qu’Apollinaire va s’épancher sur ses sentiments.

Brame des cerfs aux lisières lointaines qui rappelle Vigny, poète romantique qui évoque la tristesse des bruits de la forêt. Dernier chant d’amour.

 

III) Vers 14 à la fin : la fuite du temps et de l’ancienneté

L’automne émeut par ses rumeurs vers 14 que l’on entend dans tout le poème. Lyrisme romantique très traditionnel : - métrique plus régulière et ample n’est pas totalement abandonnée, un lyrisme très expressif : utilisation du « ô » lyrique, répétition de « j’aime », alexandrin rythmé en 6/6 (césure classique). - C’est via un lyrisme (évocation des sentiments personnels) plutôt discret qu’Apollinaire s’exprime.

Le pronom personnel « je » et la répétition du verbe de sentiment : aimer dans le vers 14 : « Et que j’aime ô saison que j’aime » associés au « ô lyrique » constituent un retour à la tradition poétique et plus exactement aux poètes romantiques qui privilégient énormément la saison automnale pour parler de leur désespoir.

Thème du vent vers 16, souffle // pleurs. - Le trimètre romantique : « Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille ». Douleur de la perte par le champ lexical « pleurent ; larmes », apaisement des larmes qui s’écoulent dans un rythme solennel.

L’automne est une bonne saison, agréable. Mais les fruits qui tombent sans qu’on les cueille sont des fruits pourris : l’ordre classique, fruit de l’automne (ancienneté), devient pourri et va tomber tout seul, sans qu’on ait besoin d’intervenir. Il faut juste suivre le court du temps qui passe.

Insistance sur le mot « feuille » x3 allitération en [f], souffle pesant, agonie. - La personnification : « Le vent et la forêt qui pleurent » (v 16) ainsi que le rejet :« Toutes leurs larmes » indiquent que la tristesse de la nature est un écho aux blessures du poète. La lente agonie de l’automne fait naître l’empathie de l’auteur qui voit dans le déclin de cette saison le reflet de sa peine : « Les fruits tombant sans qu’on les cueille » (v 15), « feuille à feuille » (v 17) Cependant, la douleur d’Apollinaire, à l’image de l’automne, s’éloigne peu à peu.

Deux syllabes par vers : la respiration s’arrête la vie s’éteint. Si la métrique symbolise la respiration de l’automne dans le poème, elle est très irrégulière ; comme rendue difficile par la maladie. À la fin la mort arrive, ce sont les derniers mots de l’automne.

Ce sizain peut être également considéré comme un alexandrin disloqué en six fois deux syllabes, choix poétique moderne : « Les feuilles / Qu’on foule / Un train / Qui roule / La vie / S’écoule ». (= 12 syllabes)

D’autre part, les trois verbes de mouvement : « foule / roule / s’écoule » indiquent que la vie s’éteint, elle aussi, peu à peu. L’assonance en ou rend compte de cet écoulement du temps. Comme dans « Le pont Mirabeau », Apollinaire reprend le topos de la fuite du temps contre lequel il ne peut rien. Pour exprimer cette rapidité, il utilise un élément synonyme de modernité qui dénote avec la nature automnale : « Un train / qui roule ».

Versification libérée, modernité : Vers 18 à 23 : vers très courts qui multiplient les accents pour donner l’impression d’un tic-tac d’horloge qui accompagne l’idée du temps qui passe : « la vie/s’écoule ».

Le souvenir de l’art poétique classique, semble mourir avec l’automne : « La vie s’écoule », les larmes ne sont plus que des feuilles qu’on piétine. Le train qui roule, élément moderne par contraste avec les lisières lointaines et des vergers où se déroulait le reste du poème, manifeste le retour à la réalité concrète, loin des «nixes » et des cerfs qui brament au fond des bois : c’est l’arrivée de la poésie de la modernité.

 

CONCLUSION : Ce poème est un hommage à la poésie classique qu’Apollinaire décrit dans ses derniers instants avec tendresse et affection.

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Commentaires: 1
  • #1

    Eline S (mercredi, 15 juin 2022 12:28)

    Bonjour,

    je passe mon oral la semaine prochaine et je me demandais si vous auriez une proposition de problématique avec une petite conclusion pour ce poème d'Apollinaire ?

    Merci beaucoup et bonne journée