Analyse de Phèdre de Racine

Analyse de Phèdre de Racine

Analyse de l'acte I scène 1, L'exposition

I) Les personnages

 

Cette scène d’exposition est présentée sous la forme d’un dialogue entre Hippolyte et Théramène. En effet le rôle de Théramène est de faire parler Hippolyte. En faisant parler Hippolyte, le dramaturge donne des informations cruciales à la compréhension de l’histoire au spectateur puisque nous sommes dans la scène d’exposition. 

Le motif de leur entretien est le départ d’Hippolyte. Les confidences d’Hippolyte sont rendues crédibles grâce à une ponctuation riche, qui mime ses émotions et sa respiration : “Le dessin en est pris : je pars, cher Théramène, [...] Ami qu’oses-tu dire?” 

Hippolyte souhaite partir à la recherche de son père, et en même temps fuir Aricie. Théramène ne peut pas imaginer que Hippolyte, si orgueilleux et fier, puisse être amoureux : “Hippolyte : Ami, qu’oses tu dire? Toi qui connais mon coeur si fier, si dédaigneux, Peux tu me demander le désaveu honteux?” Racine place dans cette scène d’exposition un quiproquo au sujet du motif du départ d’Hippolyte afin de montrer et d’insister sur le fait qu’il est un personnage orgueilleux. 

Hippolyte se compare à son père Thésée, personnage épique, ayant vaincu des monstres et remporté de grandes batailles. Et il se juge indigne d’avoir des maîtresses car il n’est pas à la hauteur des exploits de son père. Hippolyte emploie le champ lexical de la bataille, ajoutant une tonalité épique à sa tirade : “sang”, “monstres étouffés”, “os dispersés”. De nombreuses métaphores faisant allusions aux grandes victoires de Thésée sont aussi utilisées, afin d’accentuer davantage la tonalité épique.

Hippolyte a une relation d’admiration mêlée de crainte avec Thésée. Hippolyte éprouve pour Aricie de l’amour, qu’il vit comme un déshonneur car elle est la prisonnière de son père. Hippolyte et Phèdre ont une relation complexe, puisque Hippolyte ne tient pas rigueur à Phèdre pour la haine qu’elle lui témoigne : “Théramène : Ne verrez vous point Phèdre avant que de partir, Seigneur? [...] Phèdre: voyons la, puisqu’ainsi mon devoir me l’ordonne”.

Hippolyte veut partir à la recherche de son père mais surtout il veut fuir Aricie qu’il aime d’un amour doublement interdit puisqu’elle est une ennemie, prisonnière et que Thésée lui a interdit d’avoir une descendance et donc de se marier : “si je la haïssais, je ne la fuirais pas”.

Des personnages importants sont absents mais évoqués parce qu’ils sont au coeur de l’intrigue : Phèdre, à travers la périphrase “la fille de Minos et Pasiphaé”, Thésée, Aricie et Oenone.

Hippolyte est un héros orgueilleux qui est meurtri par son amour car son orgueil ne lui permet pas de l’accepter, il le trouve honteux, c’est pourquoi il se décide à  fuir, pour essayer d’étouffer cet amour. Hippolyte est amoureux de la jeune Aricie qui lui est interdit. C’est l’ennemie et la prisonnière de son père Thésée qui l’a vouée au célibat afin d'éteindre sa lignée. De plus Hippolyte s’est consacré à la déesse Diane qui est la déesse de la chasse ce qui l’oblige lui aussi à rester célibataire.

Thésée, le roi d'Athènes et de Trézène, le père d’Hippolyte et le mari de Phèdre est absent physiquement mais présent à travers le discours de Hippolyte et Théramène. Théramène rappelle aussi que Thésée était très volage dans sa jeunesse mais qu’il ne l’est plus maintenant qu’il est marié à Phèdre : “Tranquille et nous cachant de nouvelles amours, Ce héros n'attend point qu'une amante abusée…”

Théramène, est le confident et meilleur ami d’Hippolyte. En effet ils semblent avoir une grande complicité entre eux. Hippolyte lui confie tous ses émois, ses secrets. Hippolyte est affectueux dans son adresse à Théramène, il l’appelle “ami” et il le tutoie : “Ami, qu'oses−tu dire ?” De plus Théramène se permet de dénigrer Thésée devant Hippolyte quand il rappelle son passé de séducteur.

 

II) Le cadre spatio-temporel

 

Le cadre spatio-temporel est très peu précisé dans cette scène, nous savons que nous sommes à Trézène. La mer est mentionnée deux fois comme un élément naturel qui sépare les hommes : “J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe ” “Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare”. Il est aussi question d’un “rivage” et de “neptune” le dieux des Océans. Symboliquement, l’eau comporte une forte charge émotionnelle. Il y a aussi le symbole de la forêt dans ce passage, “Les forêts de nos cris moins souvent retentissent”, la forêt étant un lieu de perdition. 

Le cadre temporel est particulier, il y a plusieurs temporalités, les personnages parlent au présent cependant ils parlent aussi des exploits passés de Thésée pour mettre en garde le spectateur sur sa férocité et cruauté. Il y a de nombreuses énumérations de ses exploits : “Les monstres étouffés et les brigands punis, Procruste, Cercyon, et Sciron, et Sinnis,”. De plus la répétition de “Et la” et “Et les” en début de vers accentue la quantité d’exploits que Thésée a accomplis.

Les exploits de Thésée évoqués par Hippolyte appartiennent au registre épique pour souligner la grandeur du héros : “Consolant les mortels de l’absence d’Alcide [...] [et] Tant d’autres, dont les noms lui sont même échappés”.

Le port de Trézène, l’endroit où Thésée est venu se reposer après le massacre  des Pallantides, frères d’Aricie et symbolique dans deux sens. Tout d’abord, il montre que Hippolyte est dans les traces de son père. Il lui fait ses adieux pour montrer qu’il va enfin arrêter de vivre dans l’ombre de Thésée et va vivre avec lui. Le port est aussi l’endroit ou les frères de sa bien aimée ont été massacrés, par Thésée, ce qui appuie sur le fait que l’amour entre Hippolyte et Aricie est impossible : “Je pars, cher Théramène, Et quitte le séjour de l’aimable Trézène”. La mer est difficile à traverser, et Hippolyte veut traverser cette barrière pour voir son  père, aussi courageusement que lui : “J’ai couru les deux mers qui sépare Corinthe ; J’ai demandé Thésée aux peuples de ces bords”.

 

III) L’action et l’énigme

 

Hippolyte veut partir à la recherche de son père qui à disparu : “Le dessein en est pris : je pars, cher Théramène”. Il dit qu’il est agité par un “doute mortel “ pour son père, cependant nous apprenons que ce n’est qu’une excuse pour s'éloigner de Phèdre, sa belle mère, car celle-ci le persécute : “Cet heureux temps n'est plus. Tout a changé de face Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé La fille de Minos et de Pasiphaé.” De plus il s’enfuit aussi loin d’Aricie “Hippolyte en partant fuit une autre ennemie : Je fuis, je l'avouerai, cette jeune Aricie,” qu’il présente comme une “ennemie” tandis qu’il l’aime et tente juste de fuir cet amour impossible.

Thésée est absent de la scène mais on parle de lui et il est présenté comme  un élément perturbateur dans l’intrigue, c’est lui qui empêche Hippolyte d’avouer ses sentiments pour Aricie, c’est aussi lui, entre autre, qui empêche Phèdre d’avouer ses sentiments pour Hippolyte. Cela nous permet de prévoir que c’est lui qui causera la  mort de son propre fils, Hippolyte et donc aussi celle de Phèdre plus loin dans l’intrigue. Cette cruauté et férocité est annoncée lorsque Hippolyte fait de nombreuses énumérations des exploits de son père. En effet Hippolyte défend son père et a le plus grand respect pour lui cependant il le craint ce qui annonce que même son fils n’est pas à l’abri de sa haine. 

Phèdre demeure un mystère dans cette scène d’exposition, sachant qu’elle est personnage éponyme. On apprend beaucoup d’éléments sur ce personnage, son histoire et relations avec les autres personnages évoqués, ainsi qu’avec Hippolyte : “Voyons-la, puisqu’ainsi mon devoir me l’ordonne”.

Le personnage de Théramène, quant à lui, a pour fonction d’obliger Hippolyte à éclaircir la situation pour le spectateur, lui permettant ainsi d’être transporté en plein milieu de l’intrigue.

Analyse de l'acte I scène 3, L'aveu de Phèdre à Oenone

1/. Des aveux douloureux.

 

C’est une scène lyrique dans laquelle Phèdre livre les secrets douloureux de son coeur. Phèdre utilise un moyen détourné pour ne pas avouer ses sentiments, “De l’amour j’ai toutes les fureurs”.

 Les questions d’Oenone sont de plus en plus pressantes : “Aimez-vous ?”  d’abord trois syllabes, “Pour qui ?”  puis deux et enfin, “Qui ?”  une seule qui met Phèdre au pied du mur. A partir de ce moment elle n’aura plus la possibilité de se soustraire aux questions et devra avouer.

 La périphrase ici :  “Tu connais ce fils de l’Amazone, Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…” elle ne veut absolument pas prononcer son nom car c’est trop douloureux pour elle. Même quand Oenone dira que c’est de Hippolyte qu’on parle Phèdre répond soudainement “C’est toi qui l’as nommé !” comme pour se décharger d’une partie de sa faute.

L’oxymore «une flamme si noire» souligne la monstruosité de cet amour interdit d’une belle-mère envers son beau-fils.

 

 2/. En quoi cette scène fait-elle avancer l’intrigue ?

 

 On apprend que Phèdre a compris que pour elle il n’y a pas d’autre issue que la mort “Je péris la dernière et la plus misérable”.

 La question “Aimez-vous ?” ici est une question brutale car elle vient soudainement et elle oblige Phèdre à passer aux aveux. Par conséquent le spectateur va découvrir le noeud de l’intrigue.

 “Hippolyte ? Grands dieux !” souligne la stupeur et l’effroi d’Oenone qui découvre que Phèdre aime Hippolyte est partagée par le spectateur.

 “À peine au fils d'Egée Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée, Mon repos, mon bonheur semblait être affermi” : Phèdre nous narre le début de son mariage avec Thésée et comment elle est tombée amoureuse d’Hippolyte. Et là de façon surprenante elle semble vouloir dire que c’est de la faute du jeune homme “superbe”, c’est-à-dire fort, beau et orgueilleux, si la pauvre femme est tombée amoureuse de lui.

 

 3/. Une scène tragique.

 

 “mortel ennui” champ lexical de la mort car l’ennui est un état dépressif qui conduit au suicide, au 17ème siècle le mot est beaucoup plus fort qu’aujourd’hui. L’amour est apparenté à une maladie, un désordre psychologique et physiologique, symbolisé dans le texte par les nombreuses antithèses et les répétitions.

 La fatalité et le destin s’acharnent contre le personnage de Phèdre puisque la déesse Vénus pour se venger voulait détruire sa famille : “Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable Je péris la dernière et la plus misérable.”

 “Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace ! Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race ! Voyage infortuné ! Rivage malheureux, Fallait-il approcher de tes bords dangereux !”  Tout ceci montre la force du tragique : “Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !” : c'est une gradation, les mots sont tous plus graves les uns que les autres. Oenone est la voix de la sagesse ici car elle dit que la famille de Phèdre est maudite : “Mon mal vient de plus loin.”  

 “Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;  Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler” Ici, Phèdre est la “victime” de la déesse . Le thermes “je rougis” nous montre qu'elle a honte. “Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue” Rythme ternaires 3;3;6, c’est une gradation. Il y a aussi une insistance sur le thème du regard: “je le vis”, “à sa vue”. On remarque également une antithèse avec 2 thermes de couleur : “je rougis” rouge et “je pâlis” blanc. L’amour est vécu par Phèdre comme une maladie mortelle. Racine donne une vision très négative de l’amour qui semble un outil utilisé par les dieux et le destin pour tourmenter et détruire les humains. “Je sentis tout mon corps et transir et brûler”.

 “Je reconnus Vénus et ses feux redoutables, D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !” : Phèdre explique qu’avec sa “rage” Vénus va la tuer car elle s’acharne contre sa famille et elle sait qu’il est impossible de lui échapper.

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Synthèse

Pour Aristote, la catharsis est l’effet de purification produit sur les spectateurs par une représentation dramatique. Elle vise à éduquer les spectateurs sur les maux auxquels fait face le personnage et à l’aider à les éviter par la sympathie envers les personnages de la tragédie. Le document est une scène au début de l'oeuvre Phèdre de Racine où Phèdre annonce son amour pour Hippolyte à sa servante Oenone. Quels sont les éléments dans cette scène tragique qui nous permettent d’identifier l’existence de la catharsis? D’abord nous allons démontrer que la scène étudiée est une scène d’aveu de Phèdre et ensuite nous allons montrer qu’il y a non un seul mais deux personnages tragiques dans cette scène.

L’extrait est en effet une scène d’aveu de Phèdre et cela peut être réalisé à l’aide de nombreux éléments. 

D’abord nous pouvons discerner la longue et hésitante présentation du problème de Phèdre à sa servante Oenone du vers 153 au vers 264. Surtout entre les vers 245 et 264 l'échange de courtes répliques des deux femmes montrent la situation difficile dans laquelle Phèdre se trouve “Phèdre:Tu le veux lève toi/ Oenone : Parlez je vous écoute”. Après la révélation qu’elle fait elle continue avec un longue tirade expliquant le contexte de la situation et comment elle est tombée amoureuse d’Hippolyte.

De plus la douleur et la passion sont deux éléments présents dans les tirades de Phèdre. Les courtes phrases “C’est toi qui l’a nommé”, une ponctuation intense et variée “j’aime”, “Ô fatale colère” et les énumérations “Je le vis, je rougis, je pâlis” montre le niveau de désespoir auquel elle se trouve. N’oublions pas qu’au vers 172 elle envisage le suicide “Soleil, je viens te voir pour la dernière fois”. Ses idées suicidaires, l'hésitation de révéler la source de ses maux à Oenone et toute la charge sentimentale dans ses paroles mettent en avant la position tragique de Phèdre. Ses sentiments prennent peu à peu le contrôle et la mènent à des idées et actions de plus en plus déraisonnables.

 Enfin Phèdre est en train de combattre des forces supérieurs à elle, ce qui renforce sa position tragique puisque le combat inégal est l’un des élements principaux d’une tragédie. Au début elle se bat contre ses sentiments pour Hippolyte. En effet de nombreuses fois l’amour est plus puissant que la raison. Ce combat contre l‘amour devient plus difficile puisque celui-ci est provoqué par la déesse Vénus “Puisque Vénus le veut de ce sang déplorable/ Je péris la dernière et la plus misérable.”  Si le combat était déjà inégal maintenant il l’est encore plus puisque une femme mortelle ne peut pas résister à la volonté d’une déesse.

Mais Phèdre n’est pas le seul personnage tragique dans cette scène. Oenone en est un aussi.

D’abord un élément marquant dans cette scène est le fait que Oenone mais si elle est la servante de Phèdre exprime librement et sans censure ses sentiments et ses idées. On peut la voir même disputer sa maîtresse et lui parler sans réserve “Parlez. Je vous écoute.” Même si elle est la nourrice de Phèdre c’est un évènement rare de voir à l’antiquité une servante parler de telle manière à sa maîtresse. Au début de la scène pour convaincre Phèdre à ne pas se suicider elle lui parle et ses répliques sont plus longues de sa maîtresse (vers 185 - 205). 

Le personnage d’Oenone sert aussi à intensifier la position tragique de Phèdre. Phèdre est dans une si mauvaise position qu’elle est dominée par sa servante.  Comme nous l’avons expliqué précédemment. Oenone dispute Phèdre et au début parle même plus qu’elle (ses répliques sont plus longues). On la voit s’exprimer sans réserve et cela aurait été considéré humiliant par certains. C’est grâce à Oenone que nous apprenons qu’elle est la source du mal que ressent Phèdre, son amour interdit avec Hippolyte. Son personnage sert donc à accentuer la situation tragique de Phèdre et à nous révéler quel est le problème de Phèdre.

Enfin nous pouvons dire que Oenone est un deuxième personnage tragique dans cette scène. En effet c’est la nourrice de Phèdre et nous pouvons donner une dimension d’amour maternel à son comportement. Elle connaît Phèdre depuis que celle ci est une enfant et sa situation la désole. Elle essaye de toutes ses forces de la raisonner mais en vain. Elle présente aussi tous les éléments d’un personnage tragique, nous pouvons voir une ponctuation forte à ses répliques avec des exclamations “Ô crime! ”. Ses répliques nous font ressentir sa peine. Oenone combat des forces plus importantes qu’elles, nous pouvons définir ce combat comme un affrontement de l’amour maternel contre la perte de raisons de sa fille qu’elle aime. 

Nous pouvons ainsi conclure que cette scène possède tous les éléments de la catharsis tragique. Nous n’avons pas un mais deux personnages tragiques (Phèdre et Oenone) en affrontement avec des forces plus puissantes : pour Phèdre l’amour incité par Vénus et pour Oenone la perte de raison d’une personne aimée.

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Comment le personnage tragique de Phèdre inspire-t-il terreur et pitié dans cette scène d’aveu passionnée ?

 

I) Une passion amoureuse néfaste

 

Tout d’abord, en employant l’adjectif qualificatif “superbe” pour désigner Hippolyte, Phèdre le définit comme à la fois admirable et dangereux :  “mon superbe ennemi”. Ensuite, on remarque que la passion de Phèdre se manifeste par des  symptômes physiques comme le montre la gradation “Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue” et le vers “Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler” ou on voit qu’elle perd petit à petit toutes ses capacités, comme le souligne la césure à l'hémistiche puis le rythme binaire : “Je sentis tout mon corps et transir et brûler”. Racine donne dans cette scène une vision très négative de l’amour et appuie son aspect dangereux par les nombreuses césures à l’hémistiche :  “Je l’évitais partout. Ô comble de misère”. Pour Phèdre vivre auprès de Thésée est une torture car il ressemble tellement à son fils qu’elle pense en permanence à Hippolyte : “Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père”. C’est pourquoi elle cherche à le tuer car elle “excitai [son] courage à le persécuter” ce qui montre à nouveau une vision néfaste de l’amour puisque habituellement quand on aime quelqu’un on veut son bonheur, on ne veut pas le tuer. Cela montre sa folie amoureuse, soulignée par l’antithèse “Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre”, elle va même jusqu’à mentir pour dissimuler ses sentiments incestueux, elle se rend donc doublement coupable : “J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre”. Phèdre recherche la paix de l’esprit mais surtout elle voudrait être lavée de ses désirs coupables et retrouver une certaine pureté d’âme car c’est son impureté qui la tourmente le plus, en effet elle dit : “Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence”, par opposition aux sentiments qu’elle éprouve en présence d’Hippolyte : “J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur”. Ainsi l’allitération en [r] souligne la difficulté du combat que mène Phèdre : “Et dérober au jour une flamme si noire”. 

Après avoir montré la passion amoureuse de Phèdre, nous allons voir en quoi elle est une héroïne tragique qui se bat contre la malédiction envoyée par Vénus sur sa famille.

 

II) Phèdre, une héroïne tragique (qui se bat contre la malédiction envoyée par Vénus sur sa fille)

 

Tout d’abord Phèdre évoque la malédiction qui pèse sur sa famille, et qui est la cause de son amour incestueux pour Hippolyte : “Mon mal vient de plus loin”, “D’un sang qu’elle poursuit “ et nous montre une image négative de l’amour. En effet elle reconnaît “Vénus et ses feux redoutables” qui avaient déjà provoqué des désastres dans sa famille et qui aujourd’hui s’en prend à elle. Afin d’éviter cette malédiction et de trouver des solutions à son problème elle “lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner” mais ses prières ne sont pas écoutées, ses efforts sont inutiles : “D’un incurable amour remèdes impuissants”, “En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !”. On comprend par la suite que la raison au fait que ses prières ne soient pas exaucées est qu’elle pense à Hippolyte : “le voyant sans cesse”, “J’adorais Hippolyte”, elle n’est donc pas sincère dans ses prières. De plus, son combat est perdu d’avance car elle lutte contre une déesse : “C’est Vénus tout entière à sa proie attachée”. Malgré la fatalité de son destin dont elle prend conscience, elle essaie de sauver son honneur avant de mourir : “Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire”.

Analyse de l'acte II scène 2, L’aveu d’Hippolyte à Aricie

La scène d'aveu entre Hippolyte et Aricie dans "Phèdre" de Racine est un moment clé de l'œuvre, où s'exprime la passion amoureuse dans toute sa force et sa complexité.

 

I. Une scène d'aveu

 

Hippolyte, dans cette scène, se résout à avouer son amour à Aricie, conscient de s'être engagé trop avant. Il dit : "Puisque j'ai commencé de rompre le silence, Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer D'un secret que mon cœur ne peut plus renfermer." Cette révélation est pour lui une nécessité, tant le secret de son amour le tourmente. Il exprime son combat intérieur contre l'amour, un sentiment qu'il a longtemps méprisé, en affirmant : "Moi qui, contre l'amour fièrement révolté, Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ; Qui des faibles mortels déplorant les naufrages, Pensais toujours du bord contempler les orages ; Asservi maintenant sous la commune loi, Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi ?" Cet aveu montre sa transformation, passant de l'orgueil à la soumission devant la force de l'amour. Il confesse également avoir lutté en vain contre ses sentiments : "Depuis près de six mois, honteux, désespéré, [...] Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve". Hippolyte implore ensuite la compréhension d'Aricie, conscient de l'intensité et de la nature sauvage de son amour : "Peut-être le récit d'un amour si sauvage Vous fait en m'écoutant rougir de votre ouvrage."

 

II. La passion amoureuse vue par Racine

 

Racine décrit la passion amoureuse comme un combat perdu d'avance pour Hippolyte, un sentiment qui le submerge et le transforme. Il admet que la raison est impuissante face à la passion : "Je vois que la raison cède à la violence". Il se dépeint lui-même comme un "prince déplorable", montrant que l'amour le réduit à un état de faiblesse et de dépendance. L'amour est perçu comme une servitude qui l'éloigne de lui-même et le rend dépendant d'Aricie : "Asservi maintenant sous la commune loi, Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi ?" Hippolyte exprime sa souffrance et son désarroi face à l'amour qui le consume : "Depuis près de six mois, honteux, désespéré, Portant partout le trait dont je suis déchiré,". Il décrit son amour comme une obsession qui le hante sans cesse : "Présente je vous fuis, absente je vous trouve " et "Dans le fond des forêts votre image me suit". Cette passion le détourne de ses activités et de son identité de guerrier : "Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus. Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importue."

 

En conclusion, cette scène d'aveu est essentielle pour comprendre la transformation d'Hippolyte, un personnage qui abandonne son orgueil et sa force pour se soumettre à la puissance de l'amour, illustrant ainsi la conception de la passion amoureuse chez Racine : un sentiment à la fois exaltant et destructeur, capable de bouleverser l'ordre établi et de révéler la vulnérabilité de l'être humain.

Analyse de l'acte II scène 5, L’aveu de Phèdre à Hippolyte

I- (v 1-11) Évocation de Thésée et surimpression d’Hippolyte 

II- (v 12-19) Thésée substitué par Hippolyte au sein du mythe du Minotaure 

III- (v 20-29) Phèdre remplace Ariane et devient dès lors l’amante d’Hippolyte 

 

Problématique: 

En quoi cette déclaration d’amour involontaire témoigne-t-elle de la crise personnelle et familiale de Phèdre?

 

I- Évocation de Thésée et surimpression d’Hippolyte 

 

Alors qu’Hippolyte renvoyait Phèdre à Thésée dans la réplique précédente, celle-ci s’égare dans sa réponse. Au lieu de s’attacher à l’espoir de survie de son époux, elle associe le père au fils comme si leurs images se confondaient. Il s’agit bien d’une analogie (répétition tel + verbe polyptote voir) entre Hippolyte et Thésée puisque c’est pour Hippolyte qu’elle souffre. 

Phèdre se lance dans le portrait de celui qu’elle aime tout en continuant de feindre qu’il s’agit de Thésée. Elle dresse un portrait par la négative (“non point”). Ce n’est pas le Thésée absent ni le Thésée infidèle qu’elle aime (périphrase “mille objets divers”). L’analogie entre Thésée et Hippolyte s’ouvre donc sur une négation de la réalité. 

Ensuite, on a une série d’adjectifs mélioratifs présentant Thésée sous les traits d’Hippolyte. Phèdre insiste sur la beauté et le charme d’Hippolyte : “fidèle”, “charmant”, “jeune” —> fait référence au mythe premier (jeune homme qui se refuse à l’amour). Phèdre défie Hippolyte notamment dans l’hypozeuxe “tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous vois”. Substitution opérée par Phèdre puisque ce sont les traits d’Hippolyte qu’elle attribue à Thésée. 

Ce n’est plus le fils qui ressemble au père mais le père qui ressemble au fils. De nouveau, elle fait référence au mythe premier. —> pudeur qui fait rougir est une caractéristique d’Hippolyte. 

On observe ici un glissement vers le mythe du Minotaure: le nom propre “Crète” et la périphrase “des filles de Minos” qui désigne Phèdre et Ariane. 

 

II- Thésée substitué par Hippolyte au sein du mythe du Minotaure 

 

Phèdre remplace Thésée et Hippolyte, ce qui la conduit à réécrire le mythe en imaginant que c’est Hippolyte qui aurait tué le Minotaure. Les interrogations directes introduisent le fils. Le v. 12 témoigne de la mise en place de la réécriture fantasmée du mythe: la 3e p.s. témoigne de la dépersonnalisation de la rêverie qui se détache de la situation d’énonciation actuelle. Elle l’occulte provisoirement pour imposer son fantasme alternatif et substitutif. Phèdre insiste sur son regret, la réalité est décevante. Elle va exprimer la nostalgie de ce qui aurait pu être et elle va ainsi transformer la légende de Thésée en une mythologie personnelle. 

Le fantasme de substitution commence. Le “il” représentant Thésée disparaît au profit du “vous, votre”. La rêverie de Phèdre se substitue à la réalité en l'idéalisant. On relève des références aux éléments majeurs du mythe du Minotaure (présence du monstre, le labyrinthe, le fil d’Ariane qui permet à Thésée de retrouver son chemin). Il y a un effet d’harmonie imitative créé avec les allitérations en “l” et en “f”, le lecteur a l'impression d’entendre le fil se dérouler. 

Minos roi de Crète

Ariane fille de Minos

Thésée fils d’Egée roi d’Athènes

 

III- Phèdre remplace Ariane et devient dès lors l’amante d’Hippolyte 

 

Maintenant, Phèdre se substitue à Ariane, provoquant ainsi son aveu involontaire d’où le conditionnel poussé de 2éme forme “eût inspiré la pensée”. Elle aurait éprouvé un amour immédiat et si intense face à Hippolyte qu’elle aurait tout de suite la place de sa sœur. L’aveu apparaît indirectement car il se fait avec l'irréel du passé (conditionnel passé). La négation renforcée laisse penser que Phèdre s’adresse moins à Hippolyte qu'à elle-même et prouve dès lors sa folie.

L'intériorisation du discours se poursuit ici et révèle une nouvelle fois la folie de Phèdre. La parole est transformée en vision d’où les présentatifs “c’est”. La répétition de la 1ere personne “moi” indique bien la substitution: Phèdre prend la place d’Ariane. La majuscule souligne un élément majeur du mythe, un élément qui va peu à peu dépasser sa signification première. 

La rêverie de Phèdre se poursuit. L’exclamation prouve son égarement. Au vers 25, Phèdre annonce une nouvelle réécriture du mythe: l’article indéfini dans “un fil” prouve que le fil d’Ariane perd sa valeur et paraît insuffisant voire dérisoire. La périphrase “votre amante” est un nouvel aveu d’amour. 

La périphrase “compagne du péril” pour dire Phèdre est encore un nouvel aveu d’amour et crée le couple illusoire Phèdre-Hippolyte, couple renforcé par la gradation et la répétition des pronoms personnels de la 1ere personne du singulier et de la 2eme personne du pluriel. Ensuite, la folie du personnage se dépersonnalise avec l’emploi du nom propre et se détache de la situation d’énonciation avec le passage à la 3eme personne du singulier. Le fantasme alternatif se substitue à la réalité en l'idéalisant. En effet, Hippolyte et Phèdre forment un couple, il s’agit donc bien d’une crise familiale car ce couple est interdit. La nouvelle mention du labyrinthe, cette fois-ci sans majuscule, démontre le passage du mythe premier au mythe personnel. Ainsi, le labyrinthe a plusieurs valeurs. Tout d’abord, une valeur dramatique car c’est ce qui facilite l’aveu d’amour. Il a aussi une valeur psychologique car Phèdre ne parvient pas à se dépêtrer de son tourment personnel.

Donc, le labyrinthe devient l’emblème de Phèdre notamment au vers 28 “Phèdre au labyrinthe”. Cette manière d’exprimer l’amour, la psychologie et le désir est tout à fait nouvelle à l’époque, le champ de la psychologie est mal exploré, c’est la raison pour laquelle le désir s'exprime de manière imagée. De la même manière, l’euphémisme “perdue” a une signification géographique mais aussi une connotation plus érotique car Phèdre se rêve en fille perdue dans les bras d’Hippolyte.                    

Conclusion: 

La mise en évidence des pouvoirs fantasmatiques et érotiques de la fable sont tellement forts dans cette scène qu’à sa première représentation elle a choqué le public du XVIIème siècle parce qu’elle transgressait les bienséances externes (trop remplie d’amour, de fureur, et d’effronterie). 

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Dans la société du XVIIème siècle il était considéré comme honteux qu’une femme avoue ses sentiments à un homme. Dans cette scène, le personnage de Phèdre transgresse trois interdits puisque son amour est aussi adultère et incestueux ! Racine fait donc preuve de beaucoup d’audace avec cet aveu sur scène de Phèdre à Hippolyte qui a heurté la sensibilité du public de l’époque, habitué à la galanterie mondaine.

 

 I) Une scène d’aveu et de confrontation

 

Tout d’abord, nous pouvons voir que cet extrait est une scène d’aveu et de confrontation en observant la progression des sentiments de Hippolyte et de ce qu’il comprend. Au début de cet extrait, Hippolyte ne comprend pas ce que Phèdre veut dire, il pense qu’elle s’excuse pour tout ce qu’elle a fait envers lui, “Madame, je n’ai point des sentiments si bas.” Hippolyte comprend seulement à la fin où Phèdre veut en venir, et les sentiments qu’elle éprouve pour lui. La réaction d’Hippolyte souligne le fait que nous sommes dans une scène de confrontation, Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?” La confrontation est aussi traduite par la ponctuation émotive employée tout au long de cette scène. 

 

II) Un détour pour avouer l’interdit

 

Nous allons maintenant voir que Phèdre fait des détours pour essayer d'éviter de dévoiler ses sentiments, mais qui seront finalement avouer, ce qui confirme bien une scène d’aveu. En effet, les sentiments qu’a Phèdre envers Hippolyte sont interdits, ce qui explique pourquoi elle essaye de les cachers. Pour faire cela, elle raconte l’histoire du labyrinthe, “Lorsque de notre Crète il traversa les flots,” et elle parle aussi de sa soeur, “Ma soeur du fil fatal eût armé votre main.” Mais dans cette même tirade, Phèdre dévoile ses vrais sentiments pour Hippolyte, ce qui choque ce jeune personnage, “Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ; Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue Se serait avec vous retrouvée ou perdue.” 

Nous pouvons remarquer qu'après cette véritable déclaration d’amour, il y a un changement d'énonciation, de la deuxième personne du pluriel de politesse à la deuxième personne du singulier, que Phèdre emploie pour parler à Hippolyte. Ce changement d'énonciation souligne donc bien que Phèdre ne cache plus ses sentiments, qui sont au plus fort, et qu’elle est complètement naturelle car submergée par sa passion.

 

III) Une déclaration tragique et pathétique

 

Enfin, nous pouvons dire que cette scène est une déclaration tragique et pathétique. Tout d’abord, nous sommes dans une situation tragique car les sentiments et passions de Phèdre sont interdits. De plus, le fait qu’il y ait une puissance divine, Vénus, qui est à l’origine de cet amour, relève de la tragédie, car Phèdre n’est pas complètement coupable, “Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ; Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle”. 

De plus, cette scène est pathétique, un registre qui vise à créer les sentiments de terreur et pitié. Nous pouvons premièrement relever le champ lexical de la souffrance qui est créé par les sentiments de Phèdre, et qui va donc renforcer le sentiment de pitié ressenti par le spectateur : “douleurs” et “cruelle”. Nous pouvons aussi voir que les champs lexicaux de l’amour, “coeur” et de la haine “haïssais” s’opposent, ce qui traduit le côté tragique de cette scène. Finalement, nous pouvons voir que les sentiments de Hippolyte envers Phèdre ne sont pas réciproques, et que Phèdre a essayé de nombreuses fois de se détourner de son amour, ce qui n’a fait qu’aggraver les choses, “Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine [...]Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins”. L'allitération en [R], qui se trouve tout au long de cet extrait souligne la souffrance que ressent Phèdre, “Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.” 

 

Conclusion :

Cette scène de désespoir et de folie furieuse est une grande humiliation pour le personnage de Phèdre qui cède après avoir fait beaucoup d’efforts pour maîtriser son coeur et son corps.

Analyse de l'acte IV scène 2 (vers 1044 à 1076),  La colère de Thésée

I) La colère

a) Le déshonneur

 

Tout d’abord, on peut ressentir la haine du père envers son fils dès le premier mot : “Perfide, oses−tu bien te montrer devant moi ?” Thésée insulte son fils à plusieurs reprises et le considère comme inhumain : “Monstre, qu'a trop longtemps épargné le tonnerre”. Thésée est fou de rage contre son fils et perçoit son état comme une profonde trahison : “Après que le transport d'un amour plein d'horreur Jusqu'au lit de ton père a porté sa fureur, Tu m'oses présenter une tête ennemie !” De plus, la ponctuation expressive “!” et les allitérations en [r] soulignent la rage du personnage. Le père se sent déshonoré “C'est bien assez pour moi de l'opprobre éternel D'avoir pu mettre au jour un fils si criminel”, il perçoit alors son fils comme une erreur de la nature “ Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire, De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.” Il se sent coupable de l’avoir mis au monde car son déshonneur ne se réduit pas qu’à son fils mais également à ses combats et cela ternit sa réputation.

 

b) La démesure

 

La rage de Thésée l’entraîne à formuler des propos démesurés. Il insulte son propre fils sans même avoir confirmation des rumeurs propagées à son sujet : “Perfide, oses−tu bien te montrer devant moi ? Monstre, qu'a trop longtemps épargné le tonnerre” Il regrette d’avoir engendré un tel fils, il le considère comme un criminel, qui a réduit à néant sa réputation : “Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire, De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.” Dans l’antiquité, une personne a le pouvoir de détruire la réputation de sa famille entière. Thésée veut garder sa lignée intacte mais avec “l'écart” de son fils, qui remet en cause toute sa réputation il se sent profondément trahi et honteux. Le fils qu’il a élevé et tant chéri devient alors un ennemi : “Tu m'oses présenter une tête ennemie !” Son père le considère comme indigne d’être aimé et va même jusqu’à souhaiter le pire pour lui, sans vérifier sa culpabilité et se laisse submerger par la colère jusqu’à perdre la raison.

 

II) La malédiction

a) L’adresse à Neptune

 

Vers la fin de sa Tirade, Thésée emporté par sa colère va jusqu’à souhaiter la mort de son fils et invoque Neptune : “Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage

D'infâmes assassins nettoya ton rivage, Souviens−toi que pour prix de mes efforts heureux Tu promis d'exaucer le premier de mes voeux.” Thésée fait appel à Neptune pour punir Hippolyte alors que par la passé il s’était trouvé dans des situations désespérées lors desquelles il n’avait pas invoqué le Dieu, on voit alors que Thésée prend l’inceste de son fils comme un acte horrible et insurmontable. : “Avare du secours que j'attends de tes soins, Mes voeux t'ont réservé pour de plus grands besoins : Je t'implore aujourd'hui. Venge un malheureux père. J'abandonne ce traître à toute ta colère ; Etouffe dans son sang ses désirs effrontés : Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés.” Hippolyte est alors promis à une mort inévitable.

 

b) Le destin en marche

 

Thésée ayant fait appel à Neptune, Hippolyte ne peut s’opposer aux voeux soumis par son père à Neptune : “Avare du secours que j'attends de tes soins, Mes voeux t'ont réservé pour de plus grands besoins : Je t'implore aujourd'hui. Venge un malheureux père.” Hippolyte est alors conscient de la destinée qui lui est promise : “J'abandonne ce traître à toute ta colère ; Etouffe dans son sang ses désirs effrontés” : Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés.” Il ne peut passer à côté de la malédiction divine qui lui a été imposée et le spectateur sait lui aussi à présent que Hippolyte va mourir et qu’aucune issue n’est possible car il a beau être le plus grand des guerriers, il n’a pas les capacités de battre un monstre marin. Le tragique est alors en marche, les personnages sont mis à rude épreuve, luttant contre un destin qui les mènera immanquablement à leur perte.

Analyse de l'acte IV scène 2 en entier. L’affrontement entre Thésée et Hippolyte

I)  Une scène d’affrontement entre père et fils

 

Dans cette scène, Thésée attaque Hippolyte : “Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ?” On peut distinguer trois étapes dans leur affrontement. Thésée dans un premier temps attaque Hippolyte en lui reprochant de l’avoir déshonoré en courtisant Phèdre : “Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie”. Hippolyte tente de se défendre contre les paroles calomnieuses de Thésée mais, refusant de l'écouter, il continue à l’attaquer : “D’un mensonge si noir justement irrité” / “Oui, c’est ce même orgueil, lâche! qui te condamne”. Thésée maudit Hippolyte, ignorant ses arguments : “Je t’implore aujourd’hui. Venge un malheureux père”.

Tout d’abord dans sa tirade, Thésée remémore les actions qu’il impute à Hippolyte, son amour pour Phèdre. Ensuite, excédé par l’évocation son amour pour Aricie auquel il ne croit pas, il invoque Neptune et le condamne à mort pour finalement demander au dieu de mettre un terme à la vie d’Hippolyte. Hippolyte se dit trop vertueux pour être un “lâche insestueux” et tente de se défendre face à son père en lui rappelant l’éducation de qualité que lui ont donné sa mère et son précepteur : “Pitthée, estimé sage entre tous les humains, Daigna m’instruire encore au sortir de ses mains”. Face à cette injustice, cette calomnie, Hippolyte tente d'argumenter mais il n’est pas respecté par son père qui ne l'écoute pas. Hippolyte est un personnage pathétique, il avoue son amour interdit pour Aricie mais son père ne le croit pas.

 

II) L’aveuglement tragique de Thésée

 

Thésée ignorant les paroles d’Hippolyte ne veut pas croire ce qu’il dit, il est emporté par sa colère : “C’est bien assez pour moi de l’opprobre éternel D’avoir pu mettre au jour un fils si criminel”. Cette colère est la conséquence de l’orgueil démesuré de Thésée (l’hybris) qui est une passion violente. Thésée, emporté par sa honte pour Hippolyte est aveuglé dans cette situation, c’est un personnage tragique, il se laisse porter par ses émotions. On voit dans cette scène un Hippolyte raisonnant, tentant de se défendre, face à son père, tragique et aveugle : “D’un amour si criminel Phèdre accuse Hippolyte” / “D’un mensonge si noir justement irrité”. Face à cette situation, le spectateur ressent de la compassion pour Hippolyte. Thésée n’arrive plus à contrôler sa parole. Il est tellement emporté par ses émotions qu’il ne fait plus attention à son souffle, on le voit à travers l’absence de ponctuation dans ses tirades : “Fuis: et si tu ne veux qu’un châtiment soudain T’ajoute aux scélérats qu’a punis cette main”.

 

III) Thésée : Un héros mythologique

 

Thésée se positionne en héros mythologique. En effet, le personnage s’approprie un espace et un temps différents des autres. Il parle aux dieux comme s’ils étaient présents, sur scène, parce qu’il sait qu’ils sont à son écoute. Thésée s’est rapproché des dieux, suites à tous ses exploits. Il pourrait presque être un dieu lui même. Thésée apparaît comme un héros, grâce au registre épique, qu’il exprime en rappelant ses exploits : “Reste impur des brigands dont j'ai purgé la terre!” “Dans les longues rigueurs d’une prison cruelle”. Thésée traite Hippolyte de “monstre”. Ce terme vient de monstrare en latin qui veut dire montrer, révéler. En effet, dans ce cas, Thésée pense que Hippolyte est un monstre immoral. Phèdre l’avait déjà qualifié ainsi lors de son aveu car il montrait de l'insensibilité. Thésée fait jouer à Neptune le rôle du bourreau, il lui demande de tuer Hippolyte. Neptune devait un service à Thésée, et il l’utilise pour tuer son propre fils. Phèdre avait aussi adressé une prière à une divinité : Vénus pour lui demander de la faire mourir rapidement.

 

Cette scène montre bien l’affrontement  tragique entre Thésée et Hippolyte, suite à des emportements passionnels de la part du père qui se laisse dominer par son hybris. L’utilisation des registres pathétique et épique montre bien les extrêmes des sentiments éprouvés par les personnages. 

Analyse de l'acte V scène 6. Le récit de la mort d’Hippolyte

I) Un récit nécessaire pour respecter la règle de bienséance

 

Théramène pose le cadre de son récit. L’usage de l’imparfait montre que le dramaturge veut raconter implicitement la mort de Hippolyte, afin de respecter la règle de la bienséance. L’arrivée soudaine du monstre dans ce récit tient le lecteur en haleine “Sur le dos de la plaine liquide s'élève à gros bouillons une montagne humide”. L’accumulation d’actions au présent pour décrire l’apparition du monstre tranche avec l’imparfait, temps traditionnel du récit, et permet d’impliquer le spectateur qui a l’impression d’assister à la scène. L’horreur des blessures d’Hippolyte ne pouvait pas être représentée sur scène, et c’est pourquoi ce récit est nécessaire pour raconter au spectateur la mort du héros : “De son généreux sang la trace nous conduit, les rochers en sont teints ; les ronces dégouttantes portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes”.

 

    II) Un éloge funèbre épique

 

Hippolyte, qui signifie étymologiquement “celui qui dompte dompte les chevaux”, a dressé ses chevaux comme un parent élève ses enfants. Il guide ses chevaux par la pensée, comme s'ils étaient une moitié de son âme tellement ils sont en osmose : “sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes”. L'étymologie du mot monstre, “mostrare” met en lumière le fait que chaque partie de la description du monstre fait allusion à un personnage de cette tragédie, qui a causé du malheur à Hippolyte. Le monstre prend successivement différentes formes. L’ “indomptable taureau” fait référence à Thésée, vainqueur du minotaure, que personne ne peut maîtriser physiquement ni par la parole, puisqu’il est resté sourd aux arguments d’Hippolyte. C’est lui qui a ordonné le meurtre de son propre fils, en invoquant Neptune. Il se considère comme l'égal des dieux, à cause de son orgueil démesuré : l’hybris. Le “dragon impétueux couvert d'écailles jaunissantes” fait référence à Phèdre. Les écailles sont semblables à celle des poissons, vu que ce monstre vient de la mer, mais font aussi penser à celles des serpents, référence biblique du mal renforcée par l’adjectif de couleur “jaunissante”. En effet, la couleur jaune est celle du judas dans la bible, et c’est donc la couleur des traîtres et des menteurs. De plus, le suffixe “ssantes” accentué parce que c’est le dernier mot du vers qui rime avec “menaçante” au vers précédent, fait une allitération en [s] qui chez Racine évoque toujours la souffrance. Effectivement, Phèdre est la cause de la mort de d’Hippolyte, puisqu’elle a menti à Thésée en lui faisant croire que son fils l’avait courtisée. Le “digne fils d’un héros” se bat seul contre le monstre, acceptant ainsi son destin, ce qui fait de lui un personnage tragique puisque ce combat mené contre un dieu est perdu d’avance car même s’il réussit à tuer le monstre, sa vue terrifie ses chevaux qui s’emballent, provoquant sa chute mortelle. 

 

    III) La mort d’un innocent

 

Le registre pathétique est visible sur la traversée de Trézène jusqu'à l’endroit de l'exécution: les gardes, qui ont toujours été aux côtés d’Hippolyte sont décrits comme “affligés”, ils doivent assister à la mort de leur chef sans pouvoir agir. Les césures à l'hémistiche aux vers deux et trois montrent la lenteur de cette traversée, ils marquent la souffrance d’Hippolyte, au regard “pensif”. Les chevaux d’Hippolyte, autrefois de “superbes coursiers” sont maintenant, par leur terreur d’un “effroyable cri, sorti du fond des flots”, l’instrument de la mort de celui qui les a nourris : “la frayeur les emporte [...] ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix [...] A travers des rochers la peur les précipite”. Le registre pathétique domine complètement cette fin de récit. En effet, l'état déplorable d’Hippolyte, traîné par ses chevaux, suscite la pitié du spectateur, qui horrifie par la souffrance de ce héros courageux et innocent, auquel il s’est attaché au cours de la pièce. Théramène, interrompt son récit pour parler de sa souffrance (“Excusez ma douleur. Cette image cruelle sera pour moi de pleurs une source éternelle”) pour que le spectateur s’identifiant à lui soit pris dans un tourbillon d’émotions. Hippolyte, meme apres avoir été défiguré et broyé par ses chevaux, adresse sa dernière parole pour que Aricie soit protégée de la fureur de Thésée. Même dans les pires souffrances, le héros parfait ne pense plus à lui, mais à sa bien aimée Aricie. Même s’il ne peut plus la protéger physiquement, il essaie de la protéger par ses paroles.

 

La pièce, au début et à la fin, est centrée sur Hippolyte. Bien que le personnage de Phèdre donne son nom à la pièce car c’est le personnage le plus complexe étant donné qu’elle est à la fois victime et coupable, on remarque que le personnage d’Hippolyte et de Thésée ont une grande importance. Ils sont un miroir l’un de l’autre. Hyppolite est doté de toutes les qualités de son père, mais Thésée avec le temps a poussé ses traits de caractère à l’extrême, jusqu’à ce qu’il deviennent des défauts, par exemple la confiance en soi est devenue de l’orgueil. 

Analyse de l'acte V scène 7, L’agonie de Phèdre

La scène finale de "Phèdre" de Racine est un moment poignant où Phèdre, confrontée à la mort imminente, confesse la vérité à Thésée, dévoilant ainsi la complexité de sa passion et de sa culpabilité.

 

I. L'ultime aveu de Phèdre

 

Phèdre, sentant sa fin approcher, choisit de révéler son secret : "C'est moi qui sur ce fils, chaste et respectueux, Osai jeter un œil profane, incestueux. Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste." Ces mots soulignent la nature tragique et interdite de son amour pour Hippolyte. Elle accuse également Œnone d'avoir manipulé la situation pour protéger le secret de cet amour, qui a mené au désastre : "La détestable Œnone a conduit tout le reste." En se confessant, Phèdre cherche à alléger sa conscience, mais aussi à rétablir l'honneur d'Hippolyte. Elle exprime son désir de mourir en paix en confessant ses fautes : "J'ai voulu, devant vous exposant mes remords, Par un chemin plus lent descendre chez les morts."

 

II. L'agonie de Phèdre

 

Phèdre décrit sa souffrance et l'effet du poison qu'elle a ingéré, un don de Médée : "Déjà jusqu'à mon cœur le venin parvenu." Sa mort devient un acte de pénitence et d'expiation, illustré par des images fortes de sa douleur intérieure. Le choix de la mort par le poison est symbolique : elle souffre physiquement comme elle a souffert moralement. Phèdre se sent indigne de vivre à cause de la douleur qu'elle a causée et espère que sa mort restaurera l'honneur et la pureté : "Et la mort à mes yeux dérobant la clarté, Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté." La description de son agonie est empreinte de poésie tragique, renforçant l'effet dramatique de sa fin. Finalement, Panope annonce sa mort, respectant la règle classique de ne pas montrer la mort sur scène, mais de la relater : “Elle expire, seigneur !”

 

En conclusion, la scène finale de "Phèdre" est l'apogée de la tragédie de Racine, où les thèmes de la passion interdite, de la culpabilité et de la rédemption se rejoignent dans la mort dramatique de l'héroïne. Elle offre un aperçu profond de la psychologie de Phèdre, tout en soulignant la fatalité et l'inexorabilité du destin tragique.

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