Analyse de La Bête humaine de Zola

Analyse de La Bête humaine de Zola

La fêlure héréditaire chapitre 2, De «Jacques fuyait dans la nuit mélancolique» à «qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des bois»

Introduction

 

Dans "La Bête humaine" d'Émile Zola, publié en 1890, l'auteur, figure majeure du naturalisme, explore la destinée tragique de son personnage, Jacques, à travers une métaphore fantastique. Cette œuvre se distingue par sa description minutieuse de l'univers ferroviaire, fruit d'une documentation approfondie. L'extrait étudié offre une illustration parfaite de la manière dont Zola mêle les genres littéraires pour peindre le destin inéluctable de son personnage. Nous analyserons d'abord la métaphore du train comme symbole de la folie de Jacques, puis nous explorerons les aspects tragiques du texte.

 

I) La locomotive, métaphore de la folie de Jacques

 

a) La transformation fantastique de la locomotive

 

Dans cet extrait, Zola transforme la locomotive en une métaphore fantastique pour représenter la folie croissante de Jacques. Le train, décrit comme un dragon "hurlant et sifflant", devient un symbole puissant de la perte de contrôle et de la descente dans la folie. L'image de "l'ouverture ronde, la gueule noire du tunnel" évoque un monstre prêt à avaler Jacques, reflétant ainsi son angoisse et sa terreur intérieure.

 

b) La descente aux enfers de Jacques

 

La métaphore du train illustre également la descente inexorable de Jacques vers la folie. Le champ lexical de la peur ("terrifié", "effrayèrent") et le terme "agonisait" soulignent son désespoir et son sentiment d'impuissance. La description des paysages ferroviaires, avec leurs tranchées profondes et leurs remblais imposants, suggère une descente aux enfers, un voyage sans retour vers la folie.

 

II) Un texte tragique

 

a) Les références à la tragédie antique

 

Zola intègre des références à la tragédie antique pour renforcer le caractère tragique de l'histoire de Jacques. Le paysage désertique, rappelant l'aridité de la Grèce antique, et l'image du labyrinthe évoquent des mythes tragiques tels qu'Œdipe Roi. Ces références soulignent la lutte de Jacques contre un destin implacable et la fatalité de sa condition.

 

b) Le thème de l’hérédité

 

Le thème de l'hérédité, cher à Zola et récurrent dans la tragédie, est également présent. Jacques, se questionnant sur ses différences par rapport aux autres et hanté par l'héritage familial de l'alcoolisme, est victime d'une malédiction héréditaire, à l'instar des personnages tragiques comme Phèdre. Sa lutte contre les forces qui le dépassent et sa sensation d'être possédé par un démon renforcent la dimension tragique de son histoire.

 

Conclusion

 

En conclusion, "La Bête humaine" de Zola est un exemple remarquable de la fusion du naturalisme et de la tragédie à travers une métaphore fantastique. La locomotive devient un symbole puissant de la folie et de la fatalité, tandis que le thème de l'hérédité et les références à la tragédie antique enrichissent la dimension tragique du récit. Zola réussit ainsi à créer une œuvre complexe où le destin de Jacques est peint avec une intensité dramatique saisissante.

La fuite de Jacques chapitre 2, De «Alors, de nouveau, pendant une demi-heure, il galopa au travers de la campagne noire» à «un train que, de deux jours en deux jours, il conduisait»

I) La fuite

Jacques se lance dans une fuite paranoïaque pour essayer en vain de se fuir lui-même et d’échapper à ses pulsions meurtrières. La cadence est soutenue, le rythme effréné pour accentuer cette fuite en avant vers la folie : « tout droit », « toujours plus loin ». Le décor est hostile et les obstacles nombreux : Jacques doit symboliquement franchir deux ruisseaux, un buisson. C’est un paysage labyrinthique qui montre que le personnage est dans une errance à cause de sa « fêlure héréditaire ». L’extérieur est une allégorie de la psychologie du personnage de Jacques.

 

II) L’érotisation du paysage

Ainsi on remarque que le paysage est une métaphore du corps de la femme érotisé à l’extrême et qui renvoie le personnage face à sa pulsion meurtrière. Le corps de la femme est caressé de haut en bas : « Il monta des côtes, il dévala dans des gorges étroites ». Les allusions au sexe sont très crues comme toujours chez Zola, écrivain naturaliste : « il les franchit, se mouilla jusqu'aux hanches. Un buisson qui lui barrait la route, l'exaspérait. Son unique pensée était d'aller tout droit, plus loin, toujours plus loin », on est à la limite de la pornographie.

La mort de la Lison chapitre 10, De «Enfin, Jacques ouvrit les paupières» à «de tout un monde qui avait vécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur»

I) La personnification de la locomotive

Tout au long de l’extrait la locomotive est personnifiée, mais elle se métamorphose, elle est protéiforme : “Elle n’était point coupable de s’être montrée rétive” : l’adjectif rétif est normalement utilisé pour désigner un cheval qui refuse de sauter un obstacle. Le narrateur utilise un vocabulaire réservé aux êtres vivants donc la locomotive est personnifiée, comme un mourant qui va rendre son dernier souffle : “la machine qui expirait”,“elle, sûrement, allait en mourir”, “les révoltes dernières de la vie”, “plainte d’enfant qui pleure”. Le narrateur parle de la locomotive comme si elle avait un corps humain qui peut donc tomber malade : “depuis sa maladie contractée dans la neige”, mais aussi vieillir : “sans compter que l’âge arrive, qui alourdit les membres”. Le narrateur donne à la locomotive des organes, comme un être vivant : “par ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang de ses veines”. Le corps est donc décrit de l’extérieur vers l’intérieur puis repart vers l’extérieur dans un va-et-vient macabre : “ses membres épars, ses organes meurtris”. Le mot cadavre finit par être prononcé :“prenait l’affreuse tristesse d’un cadavre humain”. 

 

II) La dramatisation du récit (la mise en scène de la mort de la Lison)

Le récit de l’accident est fait de manière à raccourcir le temps pour augmenter l’impact émotionnel chez le lecteur : “elle lui rappelait tout, les deux pierres en travers de la voie, l’abominable secousse”.  On remarque que Jacques ne se préoccupe pas de ses propres blessures, il se comporte comme un amoureux transi qui reste focalisé sur sa bien-aimée : “Elles ne lui importaient pas. Mais ses yeux ayant rencontré, à quelques mètres, la machine qui expirait, s’effarèrent d’abord, puis se fixèrent, vacillants d’une émotion croissante.” Jacques était très attaché à cette machine et le narrateur permet au lecteur de partager la tristesse que ressent Jacques pour la locomotive en la décrivant comme une vieille bête qui n’arrive plus à fonctionner et pour qui il éprouve de l’affection : “Elle n’était point coupable [...] il n’y avait pas de sa faute, si elle était moins alerte”. La locomotive et Jacques sont fusionnels, Jacques ressent la “douleur” de la locomotive : “ce broiement qu’il avait senti à la fois en elle et en lui, dont lui ressuscitait, tandis qu’elle, sûrement, allait en mourir.” Le narrateur utilise le registre pathétique pour renforcer l’idée de la peine, à la fois chez Jacques et chez le lecteur : “La pauvre Lison n’en avait plus que pour quelques minutes.” Le narrateur utilise des mots comme “violemment” et “s’achevait” pour montrer à tel point la locomotive souffre d’une mort lente douloureuse. La comparaison pathétique avec un enfant qui pleure suscite la pitié du lecteur : “Elle se refroidissait, les braises de son foyer tombaient en cendre, le souffle qui s’était échappé si violemment de ses flancs ouverts, s’achevait en une petite plainte d’enfant qui pleure.” La locomotive est comparée à un chien qui se fait écrasé par une voiture. Il y a le champ lexical de la noirceur et aussi les mots “tragique” et “foudroie” ce qui renforcent le parallèle avec la tragédie : “Souillée de terre et de bave, elle toujours si luisante, vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elle avait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident foudroie en pleine rue.” La métaphore du corps éventré est épouvantable et nous fait penser à une histoire d’horreur : “La géante éventrée”, “par ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang de ses veines”. La mort est donc décrite d’une façon naturaliste, presque médicale : “mais, pareilles à des bras convulsifs, les bielles n’avaient plus que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie”. Cette mise en scène de l’agonie a pour but d’émouvoir le lecteur. “La géante éventrée s’apaisa encore, s’endormit peu à peu d’un sommeil très doux, finit par se taire.” Toute l’attention est focalisée sur la mort de la Lison. “Elle était morte.” fonctionne comme un télégramme qui tombe comme un couperet. La dernière phrase nous présente la mort de la locomotive comme une injustice, comme si elle avait encore tant d’années devant elle et qu’elle ne devait pas encore mourir. Cela renvoie à Jacques l’image de toutes les femmes qu’il a assassinées : “de tout un monde qui avait vécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur.” Enfin, lorsque le narrateur écrit  “son âme s’en allait”, c’est surtout Jacques qui a l’impression de perdre une partie de son âme, tant la Lison faisait partie de sa vie.

Le meurtre de Séverine chapitre 11, De «Immobile, Jacques maintenant la regardait, allongée à ses pieds, devant le lit» à «Elle n'était plus, elle ne serait jamais plus à personne»

Introduction

 

Dans "La Bête Humaine" d'Émile Zola, un roman naturaliste paru en 1890, l'auteur dépeint un tableau sombre et tragique à travers la figure de Jacques, un cheminot aux prises avec ses pulsions meurtrières. Zola, par son style caractéristique, plonge le lecteur dans une scène macabre mêlant fascination morbide et questionnements profonds sur la nature humaine. Nous explorerons d'abord le tableau macabre dressé par Zola, puis la jouissance perverse de Jacques, et enfin la lutte des sexes comme élément central du récit.

 

I) Un tableau macabre

 

Zola crée un tableau effrayant et détaillé de la scène de crime. Le champ lexical du regard, associé à la description minutieuse de la chambre rouge, suggère une atmosphère étouffante et violente. La couleur rouge, symbole du sang, est omniprésente et semble stimuler la brutalité de Jacques, évoquée par des comparaisons animales. La description de la victime, Séverine, accentue la cruauté de la scène avec un "masque d’abominable terreur", tandis que les détails macabres comme le sang ruisselant renforcent le réalisme horrifique.

 

II) La jouissance de Jacques

 

Zola explore les pensées intimes de Jacques, révélant une jouissance perverse liée à l'acte de tuer. Cette scène met en lumière la complexité psychologique du personnage, tiraillé entre le plaisir morbide et la confusion. La répétition de phrases exclamatives illustre l'intensité de ses émotions, tandis que le "désir éternel" de tuer révèle une lutte intérieure constante. Zola décrit ainsi un personnage complexe, victime de ses propres instincts destructeurs.

 

III) Une lutte des sexes

 

Dans cette scène, Zola aborde également le thème de la lutte des sexes. Jacques, en tuant Séverine, exprime une forme de domination masculine exacerbée. Le fait qu'il s'étonne de la quantité de sang chez une femme reflète son regard objectifiant et sa perception des femmes comme inférieures. L'assassinat devient alors un acte de possession ultime, une affirmation de sa "souveraineté de mâle". Cette dynamique révèle une vision misogyne où la femme, même dans la mort, est réduite à un objet de conquête.

 

Conclusion

 

"La Bête Humaine" de Zola est un roman qui, à travers une scène de meurtre brutale, explore des thèmes profonds tels que la violence, la sexualité, et les dynamiques de pouvoir entre hommes et femmes. Le tableau macabre dressé par Zola, avec ses descriptions détaillées et son ambiance oppressante, souligne la brutalité de l'acte commis par Jacques. La jouissance perverse du personnage, quant à elle, révèle la complexité de sa psyché, tiraillée entre pulsions destructrices et désir de domination. Enfin, la lutte des sexes, illustrée par la domination masculine et la réduction de la femme à un objet, met en lumière les questions de pouvoir et de contrôle qui sous-tendent le récit. Ainsi, Zola, fidèle à l'esprit naturaliste, peint un portrait sombre et réaliste de la nature humaine, où la tragédie se noue dans les abysses de l'âme.

La mort de Jacques chapitre 12, De «Mais Pecqueux, d'un dernier élan, précipita Jacques» à «Elle roulait, roulait sans fin, comme affolée de plus en plus par le bruit strident de son haleine»

Introduction

 

Dans "La Bête Humaine", Émile Zola, un des pères du naturalisme, réussit à tisser un récit où le réalisme côtoie le fantastique. La métamorphose de la locomotive en un animal sauvage est un des éléments clés qui illustrent cette transition subtile entre les deux genres. Nous allons d'abord explorer comment le roman s'inscrit dans le cadre du naturalisme, puis analyser la manière dont Zola fait glisser son œuvre vers le fantastique à travers cette métamorphose singulière.

 

I) Un roman naturaliste

 

a) Les personnages

 

Zola, fidèle au naturalisme, dépeint des personnages réalistes confrontés à des émotions et des situations intenses. L'interaction entre Jacques et Pecqueux, pleine de tension et de conflit, est un exemple typique de la manière dont Zola retranscrit les sentiments humains. Le caractère imprévisible de leurs actions, gouverné par la colère et la trahison, illustre la complexité de la nature humaine.

 

b) Le souci de précisions techniques

 

La description détaillée de la scène de l'accident révèle l'attachement de Zola pour les détails techniques et macabres. L'auteur emploie un langage cru pour décrire les corps mutilés, renforçant ainsi le réalisme de la scène. De plus, le fonctionnement de la locomotive et les aspects techniques du trafic ferroviaire sont présentés avec précision, soulignant l'engagement de Zola envers la précision scientifique et technique.

 

II) Une scène fantastique

 

a) La zoomorphisation de la locomotive

 

La transformation de la locomotive en un animal sauvage est une métaphore puissante qui fait glisser le roman du réalisme au fantastique. La comparaison de la machine à une "cavale indomptée" ou à une "bête qui fonçait la tête basse" crée une image vivante et terrifiante, évoquant le caractère imprévisible et destructeur du train.

 

b) Le train fou symbolise le caractère de Jacques

 

La locomotive, devenue un symbole de la folie et de la frénésie meurtrière de Jacques, fait écho aux pulsions internes du personnage. L'analogie entre la machine déchaînée et les émotions tumultueuses de Jacques renforce l'idée d'une force incontrôlable, à la fois dans la machine et dans l'homme. Cette fusion entre l'homme et la machine illustre parfaitement le glissement du récit vers le fantastique.

 

Conclusion

 

"La Bête Humaine" est un exemple saisissant de la capacité de Zola à mêler naturalisme et éléments fantastiques. La métamorphose de la locomotive en animal sauvage est non seulement une métaphore de la folie et de la perte de contrôle, mais elle permet également au roman de franchir les frontières du réalisme pour explorer des thèmes plus sombres et plus profonds de la nature humaine. Dans ce récit, le train devient un personnage à part entière, reflétant et amplifiant les émotions humaines, et emmenant le roman dans une dimension fantastique où la réalité et la fiction se confondent.

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