Analyse du chapitre 1 de Pierre et Jean de Maupassant, L'annonce de l'héritage

Analyse du chapitre 1 de Pierre et Jean de Maupassant, L'annonce de l'héritage

En quoi ce passage est-il un moment clé du roman ?

 

I. Des réactions différentes

Maupassant organise ce passage en plusieurs parties : la première réaction, celle de Mme. Roland, ensuite vient M. Roland et enfin le notaire. 

Mme Roland est la première dans ce passage à réagir à la mort de M. Maréchal. Elle est totalement dévastée, en témoigne le verbe “balbutia” et les points de suspension qui montrent qu’elle est choquée par cette nouvelle. Elle réagit en premier, et cela montre la sincérité de sa tristesse. Le narrateur, omniscient, voit les émotions de chaque personnage et nous informe que Mme Roland essaye quand même de cacher sa tristesse et ses émotions. Le narrateur insiste sur cette sincérité en utilisant un champ lexical de la douleur, de l’émotion : “larmes”, “émotion”, “balbutia”, “chagrin”, “douloureuses”, “tristesse de cette perte”. Il insiste aussi sur la douleur intérieure de Mme. Roland : “larmes silencieuses”, “venues de l’âme”. Le discours direct et le point d'exclamation après “mort” sont des marqueurs de la détresse de Mme. Roland. 

Face à cette nouvelle, le couple réagit de manière très différente : M. Roland n’arrive pas à cacher sa joie alors que Mme. Roland essaie de dissimuler sa tristesse. Lui se préoccupe plus de l’annonce de l’héritage de M. Maréchal : “Roland songeait moins à la tristesse de cette perte qu’à l'espérance annoncée”. Cela  révèle l’attitude de la société au XIXe siècle, les bourgeois sont préoccupés par l’argent. Il fait croire qu’il ne se moque pas de la mort de Maréchal en demandant quand même au notaire de quoi il est mort, bien évidemment, il ne veut pas vraiment savoir. Ce passage est révélateur des mœurs de cette société. Les époux sont encore divisés quant aux termes qu’ils emploient : “sacristi” et “s’écria” pour le mari et “mon dieu” et “balbutia” pour Mme. Roland. M. Roland appelle Maréchal par son nom de famille, ce qui montre qu’il n’a pas vraiment d’affection pour lui, alors que Mme. Roland l’appelle par son prénom ce qui révèle leur affinité. La ponctuation manifeste deux sentiments totalement différents pour les deux Roland : les points d’exclamation signifient la joie pour M. Roland mais signifient aussi la douleur et la sincérité chez Mme. Roland. La formation des phrases est encore différente : longues pour M. Roland, qui témoigne de la maîtrise de la situation pour lui et des phrases courtes et déconstruites chez Mme. Roland qui montrent une fois de plus, la détresse dans laquelle elle se trouve.

Le notaire ne fait que son travail en annonçant la mort de M. Maréchal et en éprouve de la satisfaction. Il est juste là pour leur annoncer la mort et le leg de la fortune de M. Maréchal, il s’intéresse peu à l’affaire et ne manifeste aucune émotion par rapport à Maréchal, il est juste là pour l’argent et ne veut que sa part. Le narrateur critique le métier de notaire dans ce passage, en les faisant passer pour des personnes vénales. L’utilisation du champ lexical de la satisfaction : “bien aise”, “souriait”, “plaisir”, “bonne nouvelle” et du champ lexical de l’argent “les clauses de ce testament”, “le chiffre”, “la fortune”, héritiers”, “ sa fortune, une vingtaine de mille francs de rente en obligation trois pour cent”, “ce leg”, “l’héritage” témoignent de l’indifférence du notaire quant à cette affaire. Enfin, il finit par un terme qui n’est pas approprié à la situation dans laquelle il se trouve : “bonne nouvelle”, en parlant de la mort de Maréchal. 

 

II. Un narrateur critique

Le narrateur, en plus de raconter l’histoire, se montre critique face aux personnages de cette scène. 

Le narrateur, du fait qu’il soit omniscient, peut nous dire quels sont les sentiments des différents personnages. D’abord M.Roland : il n’est pas vraiment triste de la mort de M.Maréchal, il pense plus à l’aspect financier de cette nouvelle : “Roland songeait moins à la tristesse de cette perte qu’à l’espérance annoncée”. Il ne veut pas passer pour un homme avide, c’est pourquoi il ne demande pas tout de suite les “clauses de ce testament”. Dans la phrase suivante : “et il demanda, pour arriver à la question intéressante”, le mot "intéressante" est malicieusement placé à la fin de la phrase pour montrer au lecteur que Roland sait déjà à quoi il pense : il a tout prévu. Son “plan” se déroule bien et le notaire arrive au point fatidique du testament : le leg. Le père Roland, est évidemment content que la fortune de M. Maréchal revienne à son fils et ne peut pas cacher sa joie : “Le père Roland déjà ne pouvait plus dissimuler sa joie”. Il est maladroit et hypocrite car il s’écrie : “Moi, si je n’avais pas eu de descendant, je ne l’aurais certainement point oublié non plus, ce brave ami”. Une affirmation mensongère car maintenant que Maréchal est mort, il peut affirmer ce qu’il veut, ça n’engage à rien et le lecteur devine encore plus l’hypocrisie de Roland.

Mme. Roland est bien plus touchée que son mari : elle est effondrée ce qui laisse deviner le lien spécial qu’entretenaient Maréchal et Mme. Roland. Maupassant nous laisse entrevoir la fin du roman, c’est un signe avant-coureur des révélations qui seront faites par la suite. L’insistance sur les émotions de Mme. Roland et les termes qu’utilise le notaire : “qu’il a vu naître, grandir, et qu’il juge digne de ce leg”, font douter le lecteur quant à la relation qu’entretiennent Jean et Maréchal. Ces éléments interrogent le lecteur quant à la nature du lien entre Maréchal et la mère Roland. Le narrateur reste ironique en faisant dire à Roland que c’est “une bonne pensée du coeur”, pour Roland il y a une connotation purement amicale alors que Maréchal a donné son argent à Jean par amour pour lui.

Dans ce passage qui marque un tournant dans l'œuvre, le narrateur expose les thèmes qui seront abordés au cours du roman : à travers les fortes émotions de Mme. Roland, les larmes versées ici seront aussi versés dans le passage où Pierre dévoilera son secret à Jean. Le notaire évoque en parallèle le “défaut d’acceptation” de la part de Jean qui pourrait refuser le leg : au final il l’accepte et c’est dans le chapitre VII qu’on retrouvera cette même question quand Pierre reprochera à Jean d’avoir accepté le leg, mais il s'était lui-même déjà posé la question. Enfin, le notaire parle des “enfants abandonnés”, l’association à laquelle reviendrait l’argent si Jean refusait l'argent de Maréchal : ceci fait peut-être allusion à Pierre dans le dernier chapitre, qui est contraint de quitter la maison familiale, il se sent lui aussi, un “enfant abandonné”.

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