Analyse linéaire de Juste la fin du monde, tirade de Suzanne

Analyse linéaire de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, tirade de Suzanne

Présentation de l'œuvre et de l'auteur

 

L'une des tirades les plus longues de la pièce, présentée par Suzanne, constitue un moment clé dans le parcours "crise personnelle, crise familiale" pour le bac de français. Suzanne s'adresse à son frère Louis, qu'elle ne connaît pas puisqu'il a quitté la maison familiale alors qu'elle était encore petite. Cette tirade offre un aperçu poignant de son sentiment d'abandon et d'isolement. Elle représente une tension palpable entre ce qui est dit et ce qui est laissé dans le non-dit. C'est une scène de reproches qui traduit l'absence comme un signe d'attachement profond.

 

Une tirade, pour préciser, est un long discours déclamé sans interruption par les autres personnages. Cependant, contrairement au monologue, d'autres personnages sont présents sur scène pendant qu'elle est délivrée.

 

I- Des mots pour compenser l’absence de Louis

II- Le rapport de Louis à l'écriture 

III- Le reproche de Suzanne le mépris de Louis

 

Problématique: 

En quoi ce réquisitoire témoigne-t-il de la crise familiale et de la crise tragique du langage ?

I- Des mots pour compenser l’absence de Louis

Dans sa tirade, Suzanne revient sur les lettres qu'elle a reçues tout au long de ces années d'abandon. Cherchant ses mots et révisant constamment ce qu'elle veut exprimer, elle déploie un véritable réquisitoire contre Louis. On pourrait la voir comme le procureur général, représentant la société, tandis que Louis est l'accusé. L'évolution des temps verbaux, du passé à la présence, ainsi que l'anaphore de l'adverbe "parfois" indiquent que Louis continue d'envoyer des lettres à sa famille, ce qui suggère que son absence persiste dans le présent. De ce fait, il apparaît comme légitime de le condamner, soulignant ainsi l'aspect de "crise personnelle, crise familiale" qui est crucial pour le bac de français.

 

Suzanne va même jusqu'à remettre en question la nature même des lettres, niant leurs qualités intrinsèques. Elle attribue une connotation péjorative au courrier de Louis, une négation renforcée par une interrogation directe. On a l'impression que le personnage s'adresse davantage à lui-même qu'à Louis. En effet, elle cherche ses mots, hésite avant de trouver le terme le plus approprié, puis résume l'ensemble de ses hésitations en se citant elle-même, satisfaite de sa trouvaille. Cette énumération d'épanorthose souligne l'intensité de ses sentiments et l'importance de cette confrontation dans la dynamique familiale.

II- Le rapport de Louis à l'écriture

Dans la continuation de sa tirade, Suzanne reformule sa pensée, qui se construit progressivement au fil du discours, comme en témoignent ses commentaires métalinguistiques (entre parenthèses). Elle exprime la douleur et le désarroi qu'elle a ressentis à l'époque de l'abandon de Louis. Suzanne reproche donc à Louis son départ, la mention de sa jeunesse à cette époque rendant les circonstances encore plus graves, un point essentiel pour comprendre la "crise personnelle, crise familiale" dans le contexte du bac de français.

 

Le fil du discours principal est repris, comme l'indique l'anaphore. La formulation de la profession de Louis se fait encore à travers de nombreuses reformulations, révélant la difficulté de Suzanne à trouver les mots justes. Même lorsqu'elle semble y parvenir au vers 15, le polyptote entre parenthèses traduit son incertitude et son souci de bien s'exprimer face à son frère écrivain.

 

Suzanne exprime l'admiration de toute la famille pour le fait que Louis soit devenu écrivain, en dépit de leurs origines ouvrières. Le terme "admiration" est le seul sur lequel elle ne semble pas hésiter.

 

Cependant, la question n'est pas tant de savoir si Louis peut écrire, mais plutôt s'il désire le faire. Suzanne reformule encore une fois sa pensée, distinguant la nécessité de l'obligation - c'est-à-dire du devoir familial qu'elle lui rappelle implicitement - et du désir, de l'envie. Elle exprime sa confiance en son frère, estimant qu'il aurait sans doute écrit s'il en avait éprouvé le besoin. Cependant, on sait que ce n'est pas le cas. Louis ne partage pas ses choix avec sa famille et encore moins son aveu, ajoutant une note d'ironie tragique. Encore une fois, il garde le silence.

III- Le reproche de Suzanne le mépris de Louis

En conclusion, Suzanne formule un reproche qui lui donne l'occasion d'exprimer son admiration et celle de la famille pour le talent d'écriture de Louis. Elle hésite sur la pertinence du terme choisi. Grâce au premier commentaire métalinguistique (didascalie interne), nous comprenons que Louis sourit en entendant le mot "don". Il est peut-être flatté, touché par ce compliment. Le second commentaire métalinguistique est ironique, permettant à la jeune fille de faire un nouveau reproche à son frère, de le taquiner légèrement. 

 

Suzanne constate avec regret que son frère, bien qu'il écrive et soit effectivement écrivain, ne juge pas sa famille digne de recevoir ses écrits. Elle insiste donc sur le fait que la correspondance de Louis est sélective et que la famille en est exclue. Enfin, les derniers vers permettent à Suzanne d'exprimer son mépris (peut-être de classe sociale ?). L'hypozeuxe permet d'opposer l'accusé aux victimes. Enfin, la dernière phrase, brève et tranchante, oppose violemment le "nous" à "tu". 

 

Ce texte pour le bac de français est un exemple parfait du parcours "crise personnelle, crise familiale", en explorant les tensions, les reproches et les non-dits au sein d'une famille. Il explore comment un individu peut causer une crise familiale par son absence et son silence, ainsi que la réaction de la famille face à cette crise.

Conclusion

En conclusion, à travers ces accusations, nous assistons à la mise en scène d'une crise familiale et d'une crise personnelle du langage. Ces crises sont illustrées par l'emploi virulent des mots pour compenser l'absence de Louis, l'évocation de la relation complexe de Louis avec l'écriture, et l'élaboration du reproche que Suzanne fait à son frère. Cet examen du "parcours crise personnelle, crise familiale" dans ce texte pour le bac de français démontre la puissance du langage et de l'écriture pour révéler et explorer les tensions et les conflits non dits au sein de la famille.

Écrire commentaire

Commentaires: 0