Analyse de L'île des esclaves de Marivaux scène 3

Analyse de L'île des esclaves de Marivaux scène 3

Dans la scène III de "L'Île des esclaves" de Marivaux, Cléanthis, ancienne esclave, se saisit de l'occasion offerte par l'inversion des rôles pour dresser un portrait satirique de sa maîtresse, Euphrosine. Cette scène, riche en implications, se déploie en trois axes principaux : la polyphonie de la tirade, le concept du théâtre dans le théâtre, et la fonction satirique du passage.

 

**I. Une tirade polyphonique**

 

Cléanthis, dans sa tirade, mélange habilement discours et récit. Elle reprend les paroles d'Euphrosine en style direct, se mettant en scène elle-même dans le rôle de sa maîtresse, tout en commentant et en résumant les événements. Cette technique crée un effet de distance et de dérision, soulignant le mépris discret de Cléanthis pour les manières affectées d'Euphrosine. L'emploi du pronom indéfini "on" pour parler d'Euphrosine renforce cette distance, tout en permettant à Cléanthis de dépeindre sa maîtresse sous un jour caricatural et dévalorisant.

 

L'imitation d'un dialogue mondain, où Cléanthis joue les deux rôles, accentue l'aspect comique et critique de la scène. Elle se moque non seulement d'Euphrosine, mais aussi de l'ensemble de la société mondaine à laquelle appartient sa maîtresse.

 

**II. Le théâtre dans le théâtre**

 

Cléanthis, en occupant le devant de la scène, renforce l'idée du théâtre dans le théâtre. Elle recrée, avec une ironie mordante, la vie d'un salon parisien du XVIIIe siècle, mettant en lumière la coquetterie et les formules de politesse de l'époque. La tonalité comique est soutenue par l'exagération des angoisses d'Euphrosine et par la vivacité du récit de Cléanthis, qui, sans didascalies, laisse le spectateur imaginer ses gestes et attitudes.

 

Cette mise en abyme théâtrale sert à la fois à divertir et à critiquer, engageant le spectateur dans une réflexion sur les artifices de la société et la nature du théâtre lui-même.

 

**III. Fonction satirique du passage**

 

La tirade de Cléanthis a une portée morale importante. Elle dénonce la coquetterie, la préciosité et la beauté artificielle d'Euphrosine, la présentant comme une précieuse prisonnière de son image. La critique va au-delà de la simple moquerie d'une maîtresse pour toucher l'ensemble de la société mondaine, hypocrite et superficielle.

 

Cléanthis, en témoignant de l'envers du décor, révèle la vacuité et l'artificialité de ce monde. Sa position d'observatrice lui confère une autorité morale, lui permettant de rabaisser socialement les maîtres non par une argumentation directe, mais par la mise en scène de situations ridicules et révélatrices.

 

**Conclusion**

 

À travers cette tirade, Cléanthis s'émancipe par la parole et la satire, transformant son expérience de servitude en un outil de critique sociale. Le portrait qu'elle dresse d'Euphrosine n'est pas seulement une vengeance personnelle, mais une épreuve révélatrice pour les maîtres, mettant en lumière leurs faiblesses et leurs vanités. Marivaux utilise ici le théâtre comme un laboratoire social, où le plaisir de voir et d'entendre se convertit en un plaisir de faire voir et entendre, invitant le spectateur à une réflexion plus profonde sur les rapports humains et la société.

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