Analyse du portrait de l'antiquaire dans La Peau de chagrin de Balzac

Analyse du portrait de l'antiquaire dans La Peau de chagrin de Balzac

Introduction

 

Dans "La Peau de chagrin", roman paru en 1831, Honoré de Balzac explore les limites de la quête humaine du bonheur et les dangers de la tentation. À travers le personnage de Raphaël de Valentin, un jeune homme désespéré et ruiné, Balzac invite le lecteur à réfléchir sur les conséquences de la poursuite effrénée des désirs. Le passage que nous étudions se situe à un moment clé du récit, où Raphaël, attendant la nuit pour mettre fin à ses jours, entre dans la boutique d'un vieil antiquaire. Cette rencontre, marquant une rupture avec le début du récit, plonge le lecteur dans un univers étrange, presque infernal. Nous nous interrogerons sur la manière dont cette scène crée une atmosphère préfigurant les événements à venir, en examinant d'abord son caractère fantastique, puis en analysant le portrait troublant de l'antiquaire.

 

I. Une atmosphère fantastique

 

1. Le point de vue

 

Le récit adopte un point de vue interne, focalisé sur Raphaël. Le lecteur découvre la boutique à travers ses yeux, partageant son expérience émotionnelle intense et subjective. Des verbes de perception tels que « il voyait », « il ne l’avait entendu », « il ouvrit les yeux » immergent le lecteur dans ses sensations et ses émotions. Le lieu, décrit comme un « cabinet mystérieux », provoque chez Raphaël un malaise profond, accentué par l'usage du passé simple qui confère une dimension intemporelle à la scène.

 

2. Le rêve

 

Le lecteur, limité au seul point de vue de Raphaël, peut interpréter la scène comme un rêve. L'action se déroule le soir, moment propice au sommeil, et le passage s'ouvre et se clôt sur des mentions évoquant le rêve : « Il ferma les yeux » ; « au moment où il ouvrit les yeux ». L'emploi de verbes exprimant l'incertitude (« Il crut avoir entendu », « semblait ») et le champ lexical du rêve (« apparition », « cauchemar », « images fantasques ») renforcent cette impression.

 

3. L’image de l’enfer

 

La boutique est décrite de manière à évoquer les enfers : « profondeurs d’un abîme », « ténèbres », « sphère rougeâtre ». Ce lieu, loin d'être accueillant, semble perturber profondément Raphaël, avec des expressions telles que « un brûlant cauchemar », « précipités », « l’éblouissaient ». Cette atmosphère infernale prépare le lecteur à la rencontre avec l'antiquaire, figure diabolique.

 

II. Un antiquaire troublant

 

1. La mort personnifiée

 

L'antiquaire apparaît comme une incarnation de la mort. Le champ lexical du mort (« sarcophage », « fantôme », « apparition ») et les couleurs associées à la mort (« blanc », « noir ») dominent sa description. Les termes suggérant l'absence de vie (« sec et maigre », « étroit », « bras décharné ») renforcent cette impression.

 

2. Une description étrange

 

L'antiquaire est un personnage de contrastes, à la fois mort et étrangement vivant. Sa voix « terrible », sa « finesse d’inquisiteur », ses « yeux verts » pleins de malice, et sa « force orgueilleuse » le rendent à la fois fascinant et inquiétant. La comparaison avec le tableau de Gérard Dow souligne son caractère surnaturel.

 

3. Un personnage diabolique

 

L'antiquaire est comparé à un dieu tout-puissant et omniscient, mais aussi à Méphistophélès, figure diabolique. Cette dualité entre l'image de Dieu et celle du diable est typique du genre fantastique et prépare le lecteur à la suite tragique du récit.

 

Conclusion

 

Ce passage de "La Peau de chagrin" marque un tournant dans le roman. Balzac y introduit des éléments fantastiques, transformant la boutique en une porte vers l'enfer et l'antiquaire en une figure diabolique. Cette scène annonce le pacte que Raphaël s'apprête à conclure, échangeant sa vie contre les promesses illusoires de la peau de chagrin. Balzac utilise ainsi le fantastique pour explorer les thèmes du désir, de la tentation et des conséquences de la quête effrénée du bonheur.

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