Introduction

 

La Lettre du voyant, écrite par Arthur Rimbaud à Paul Demeny en mai 1871, est un document fondamental pour comprendre la révolution que Rimbaud a apportée dans le monde de la poésie. Cette lettre, bien qu'initialement privée et non destinée à la publication, offre un aperçu précieux de la pensée embryonnaire et inachevée de Rimbaud sur la poésie et le rôle du poète. Avant cette lettre, Rimbaud avait déjà des réflexions sur l'évolution de la poésie, accordant de la valeur uniquement à la poésie de la Grèce antique et à certains romantiques. Cette lettre marque un tournant dans sa conception de la poésie.

 

I. « Je est un autre »

 

1. Différenciation, dédoublement

 

Rimbaud aborde le romantisme avec une posture péremptoire, soulignant l'incompréhension des critiques vis-à-vis des œuvres ("on a jamais"). Cette relation conflictuelle entre les critiques et l'œuvre est marquée par l'ironie et le mépris. Rimbaud utilise des phrases elliptiques pour mettre en évidence le décalage entre la pensée et l'œuvre. L'expression « Je est un autre » illustre ce paradoxe, où le "je" intime devient un autre, soulignant que le poète doit être le relais d'une pensée qui le dépasse. Dans sa lettre à Izambard, Rimbaud critique la poésie subjective comme étant « horriblement fadasse ».

 

2. Démarche : connaître et cultiver son âme

 

Rimbaud utilise la métaphore musicale du cuivre pour illustrer le processus de création poétique, où le poète est à la fois acteur et spectateur de sa propre création. Il insiste sur l'importance de la connaissance et de la culture de l'âme, une démarche qui nécessite un engagement profond et une exploration continue. Cette connaissance n'est jamais achevée, et le poète doit constamment cultiver son âme. Rimbaud exprime un mépris pour ceux qui s'autoproclament poètes sans véritablement l'être, soulignant la nécessité d'une distance critique.

 

3. Cultiver l’extraordinaire

 

Rimbaud encourage à cultiver l'extraordinaire, à se faire une « âme monstrueuse », en dehors des normes conventionnelles. Il utilise l'exemple provocateur des comprachicos pour illustrer cette idée, suggérant que le poète doit explorer au-delà des limites esthétiques et morales traditionnelles.

 

II. Il faut être voyant

 

1. Etre voyant

 

Rimbaud affirme que le poète doit devenir un voyant, capable de voir au-delà des apparences pour révéler l'inconnu. Cette vision implique un « raisonné dérèglement » de tous les sens, où le poète doit maintenir un équilibre entre la lucidité et l'exploration des limites de la perception. Rimbaud souligne la difficulté de cette tâche, mais aussi son importance essentielle pour la création poétique.

 

2. Résultat

 

Le travail du poète est décrit comme un effort surhumain, nécessitant à la fois force et foi. Rimbaud utilise des expressions hyperboliques pour décrire la transformation que subit le poète dans ce processus, devenant un marginal dans la société mais accédant à une perspective unique sur le monde.

 

3. Limites

 

Rimbaud reconnaît les limites et les dangers de cette quête, y compris la possibilité de l'échec et de la mort. Cependant, il souligne l'importance de cette poursuite incessante, anticipant les mouvements futurs en poésie, comme le surréalisme.

 

III. Le poète « voleur de feu » et porteur de progrès

 

1. Voleur de feu

 

Rimbaud conclut en comparant le poète à un « voleur de feu », une référence à Prométhée. Cette comparaison illustre le rôle du poète comme celui qui apporte l'invention et la lumière à l'humanité, embrassant tous les aspects de l'existence.

 

2. Inventer une langue

 

La création poétique, selon Rimbaud, nécessite l'invention d'une nouvelle langue, capable de refléter l'inconnu. Il critique les conceptions académiques du langage, prônant une approche plus innovante et prophétique.

 

3. Le poète et le progrès

 

Enfin, Rimbaud envisage le poète comme un catalyseur du progrès humain, un rôle essentiel dans l'évolution de la société. La langue devient plus qu'un simple outil d'expression ; elle est une fin en soi, un moyen de relier la pensée à l'action, d'explorer et de révéler les correspondances cachées du monde.

 

Conclusion

 

La Lettre du voyant est un manifeste poétique révolutionnaire, où Rimbaud redéfinit le rôle du poète et la nature de la poésie. Il y présente une vision exigeante et novatrice, où le poète devient un explorateur de l'inconnu, un créateur de nouvelles réalités et un catalyseur de progrès. Cette lettre marque un tournant décisif dans l'histoire de la poésie, influençant profondément les générations futures de poètes et d'artistes.