Analyse du poème "Barbare" de Rimbaud

Analyse du poème "Barbare" de Rimbaud

Introduction

 

"Barbare", paru pour la première fois en 1873 dans le recueil "Illuminations" de Rimbaud, orchestré par Verlaine, se présente comme un défi à toute classification. Ce recueil, composé de poèmes en prose, se caractérise par son désordre apparent et ses fragments brefs, offrant une expérience de lecture unique et complexe. "Barbare" émerge dans ce contexte comme une œuvre particulièrement marquante, écrite dans le sillage de la guerre franco-allemande de 1870, un conflit sanglant qui a vu la chute de l'Empire français. Le poème se distingue par son refrain "Le pavillon en viande saignante... (elles n'existent pas)", répété à deux reprises et une dernière fois sous une forme abrégée, conférant à l'ensemble un aspect inachevé, invitant le lecteur à participer à sa construction.

 

I. Poésie de révolte et du chaos

 

Dès le titre, "BAR-BARE", Rimbaud plonge le lecteur dans une atmosphère de révolte. Ce terme, évoquant dans l'antiquité le langage incompréhensible de l'étranger, suggère un refus de la civilisation et une violence intrinsèque, comme un "coup de poing". La présentation du titre, dépourvu d'article, rompt avec les conventions linguistiques, annonçant un langage sauvage et déstructuré. Le poème s'ouvre sur des indications spatio-temporelles floues, "Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays", plongeant le lecteur dans un univers post-apocalyptique, hors du temps et de l'espace. Cette introduction crée une sensation de chaos illimité, renforcée par l'allitération en [r], qui résonne tout au long du texte, en écho au titre.

 

Le poème se caractérise par son mouvement perpétuel, souligné par l'emploi du présent du gérondif et les sifflantes [s] et [v], créant une dynamique constante. L'aspect incantatoire du texte, marqué par l'invocation "Ô Douceurs, ô monde, ô musique !" et les contrastes saisissants entre les éléments opposés (feu et glace, brutalité et douceur), confère au poème une dimension presque surnaturelle. Le refrain, répété et inachevé, accentue le sentiment d'étrangeté et de non-existence, transportant le lecteur dans une dimension autre, hors du réel.

 

La révolte de Rimbaud, bien que palpable, demeure énigmatique. Le poème, mélangeant les images et les sensations, semble s'approcher d'une signification vers sa fin, avec l'apparition de "formes" et de "chevelures", mais le mystère persiste. Ces éléments pourraient représenter une femme fragmentée, une voix féminine, ou même la poésie elle-même, mais Rimbaud laisse son œuvre en suspens, refusant une interprétation définitive.

 

II. Un nouveau langage

 

"Barbare" se présente comme une rénovation du langage poétique. Rimbaud y confronte des images et des sens, créant un champ lexical riche et varié, mêlant la beauté ("soie", "fleurs", "diamants") et les différentes facultés sensorielles (ouïe, vue, toucher). Le poème devient un carrefour où se rencontrent des éléments naturels divers (eau, terre, feu, air), formant des associations inédites et surprenantes, comme dans la phrase "les feux à la pluie du vent de diamants".

 

Cette innovation se manifeste aussi dans la polysémie du texte. Rimbaud joue avec les thèmes de la guerre, de la violence, et de la féminité, tout en s'éloignant des conventions poétiques traditionnelles. Il remet en question les formes établies, se plaçant "loin des vieilles retraites et des vieilles flammes", et cherche à créer un langage nouveau, déstructuré, où la syntaxe et la ponctuation suivent une logique propre et inédite.

 

Conclusion

 

"Barbare" de Rimbaud se dresse comme un monument de la poésie moderne, un texte hermétique et révolutionnaire. Sa structure déstructurée, sa ponctuation exubérante, et la violence de ses images font de ce poème une œuvre à part, une révolte en soi. Rimbaud, en créant un monde nouveau avec les mots, invite le lecteur à explorer un univers où le sens est multiple et insaisissable. Comme l'a suggéré Mallarmé, un poème est un mystère à déchiffrer, mais "Barbare" reste un mystère dont Rimbaud seul détient la clé, nous laissant face à une "parade sauvage" dont le sens nous échappe, défiant toute interprétation définitive.

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